
Sucy, points d’histoire
Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)
La Villa Sévigné
Le 20 mars 1861, comparait chez Maître Lanquetot, notaire à Boissy Saint-Léger, François Etienne Lefebvre, alors Maire de Sucy, agissant par procuration de sa femme Félicie Joséphine, née Roubier, et de son beau-père Joseph Procope Roubier. Il s’agit d’enregistrer la rédaction d’un cahier des charges pour la vente « en détail d’une propriété sise à Sucy, dite la Villa Sévigné, aux lieux dits les Blancs Murs et les Crochets ».
Voici sur le plan actuel de Sucy le périmètre de la Villa Sévigné :

Nous allons découvrir que c’est à l’occasion de ce lotissement que les rues Montaleau, de Coulanges et de Sévigné ont été créées.
Mais avant d’étudier ce lotissement et ce qu’il est devenu, plongeons dans le passé.
Histoire du fief de Montaleau avant la rédaction du Cahier des charges de la Villa Sévigné
Du franc-alleu de la Tour au fief de Montaleau
Les plus anciens documents concernant Sucy nous apprennent que des deux côtés de la rue qui s’appelle aujourd’hui Pierre Sémart mais s’est appelée jusqu’au XIXe siècle la rue de la Tour, se trouvait les terres d’un alleu celui de la Tour [un alleu est une terre tenue en pleine propriété et ne dépendant donc d’aucun seigneur]. Au XVIIe siècle ce domaine fut morcelé, donnant naissance d’un coté au domaine de Montaleau et de l’autre à celui de Petit-Val.

C’est la famille de Coulanges qui va finalement s’installer à Montaleau et bâtir le château que nous connaissons aujourd’hui. La partie du domaine achetée par Philippe Ier de Coulanges est érigée en fief, le « fief Montaleau », en 1621. Des acquisitions successives vont progressivement agrandir le domaine de 1621 à 1639. Son fils Philippe II hérite du domaine, il est l’oncle et, à partir de 1636, le tuteur de celle que nous connaissons sous son titre de Marquise de Sévigné.
Ventes successives et partage du domaine
Philippe de Coulanges va vendre le domaine en 1655 à Madame de Lyonne. Le domaine va ensuite souvent changer de main.

Pendant la période révolutionnaire et jusqu’en 1815 il est la propriété de Barthélemy Caillat.
Le Cadastre napoléonien de 1811 nous renseigne précisément sur les possessions du sieur Caillat. Elles s’élèvent à 22,2 ha et se subdivisent en trois parties principales :
- 8,3 ha au « village » qui correspondent au château et à son parc attenant,
- 5,4 ha au Clozeau (ces terres forment aujourd’hui le quartier de la Gare ainsi que les terrains de l’autre côté des voies)
- 8 ha aux Blancs murs et aux Crochets, en dessous du château (là où va se trouver la Villa Sévigné).

Sur le plan ci-dessus le périmètre de la future Villa Sévigné est en pointillés rouges. Dans ce périmètre les parcelles entourées de traits de couleur n’appartiennent pas à M. Caillat. Le Cadastre nous renseigne aussi sur les cultures : les parcelles entourées de pointillés mauves sont des terres à vignes, le reste des terres labourables.
M. Boudin de Vesvres est le propriétaire de 1815 à 1844, il vend tout le domaine au marquis de Chabannes.
C’est le marquis et ses héritiers qui vont démembrer le domaine :
- Le 12 juin 1854 le château et son parc sont vendus au commodore Jonas Coë. La famille de Chabannes reste propriétaire des terres agricoles.
- En août 1855, suite à la mort de la marquise de Chabannes, le reste du domaine est partagé entre ses différents héritiers. C’est son fils d’un premier mariage, Ezéchiel Demaret, qui hérite des terres sises aux Crochets et aux Blancs murs.
Le 27 août 1856, Ezéchiel Demaret vend ces terres aux époux Roubier qui sont à l’origine du projet Villa Sévigné.
La constitution du lotissement
Les lotissements à Sucy et ailleurs
Le terme de « lotissement » n’est pas encore utilisé au XIXe siècle pour nommer les opérations immobilières qui sont alors qualifiées de vente au détail de propriétés. Aucune loi n’encadre à l’époque ce type de vente qui relève du droit privé, la commune n’est pas partie prenante. Il faudra attendre les lois de 1919 et 1924 pour que la commune ait un droit de regard et de contrôle sur ce type de vente.
Cette pratique de lotissement est néanmoins ancienne, la création de la place des Vosges ou celle de l’Ile Saint-Louis en sont des exemples. Les lotissements de domaines agricoles associés à des châteaux deviennent fréquents au XIXe siècle.
A Sucy, la Villa Sévigné est un des tout premiers lotissements mais ils vont se multiplier :
- En 1888 pour le Petit-Val
- En 1994 pour Chaumoncel
- En 1908 pour le Closeau
- En 1913 pour le Poil Vert, Notre Dame et surtout le Grand-Val
L’arrivée du train en 1872 a sans doute contribué à cette accélération des ventes, la valeur des terrains augmentant car ils intéressaient une nouvelle clientèle aisée.
Les origines de propriété de la Villa Sévigné
Pour mettre en place leur projet les époux Roubier doivent se rendre propriétaires des quelques parcelles qui n’appartenaient pas au marquis de Chabannes. Ils vont le faire par des achats ou des échanges contre des lots à venir.
C’est le Cahier des charges de 1861 qui nous renseigne sur les origines de propriété du lotissement.
- La principale propriété
Il s’agit des terres héritées par Ezéchiel Demaret, environ 87 000 m². Il les vend le 15 novembre 1856 aux époux Roubier.
L’étude du Cadastre napoléonien nous montre que M. Caillat possédait, dans la zone concernée en 1810, 25 parcelles pour environ 79 300m². Entre 1810 et 1855 de nombreuses petites parcelles dans cette zone qui n’appartenaient pas à M. Caillat ont été achetées par les propriétaires successifs de Montaleau pour accroître leurs terres (16 parcelles pour un total de 7300m²).
- Une parcelle de 204m² [A]
C’est une partie de la parcelle 768 du cadastre, 460 m² de terre qui appartenaient à M. Obeau, charron, en 1810. Ce sont ses descendants qui vont la vendrent le 10 septembre 1860 aux Roubier.
- Une parcelle de 204m² [B]
C’est la seconde partie de la parcelle 768. D’autres descendants de M. Obeau, les Tessier, vont l’échanger le 31 décembre 1860 avec les Roubier contre un lot futur.
- Deux parcelles pour au total 196m² [D]
Il s’agit de la parcelle 771 de 140 m² et de la parcelle 780 de 135m² qui toutes deux appartenaient à François Camot en 1810. Son petit-fils Jacques les échange avec les Roubier le 18 janvier 1861.
- Deux parcelles de 196m² et de 216m² [E]
Il s’agit de la parcelle 714 de 185m² de terres à vignes qui appartenait à M. Vilain en 1810 et de la plus grande partie de la parcelle 779 de 230m² de terres à vignes qui appartenait à M. Obeau. Ces deux parcelles étaient désormais entre les mains de M. Moulton qui les échange le 14 février 1861 avec les Roubier.
- Deux parcelles pour au total 217m² [C]
Il s’agit de l’autre partie de la parcelle 779 et de la parcelle 753 de 165m² qui appartenaient aussi à M. Obeau en 1810. Ce sont ses petits-enfants qui les vendent le 4 mars 1861 aux époux Roubier.
Le plan de la future Villa Sévigné
Un premier cahier des charges est établi le 20 mars 1861, un second le 27 avril 1873. La guerre de 1870 et l’occupation de Sucy par les prussiens expliquent sans doute largement la production d’un nouveau cahier des charges sachant de plus que la gare du Sucy a été inaugurée en 1872. Les attentes ont pu évoluer et les dossiers devoir être refaits.
Nous disposons du plan de 1873. A priori la principale différence entre les deux cahiers des charges tient dans la largeur des rues qui a été augmentée dans le second cahier des charges.


Sur ce plan nous pouvons identifier les parcelles cédées ou échangées décrites précédemment et la localisation des lots reçus en échange.
Le lot attribué aux Moulton est le long du rond-point aujourd’hui nommé Fernande Doudot. Les Moulton sont les propriétaires du Petit-Val et ce lot leur permet d’être propriétaires de tout le tour du rond-point, les autres parties étant déjà dans leur domaine.
Les nouvelles rues
L’étude du Cadastre napoléonien nous montre qu’entre la rue Pierre Sémard (de la Tour à l’époque) et la rue Maurice Berteaux (chemin de Paris à Sucy à l’époque), il n’y avait aucune rue, seul des sentiers permettaient d’accéder aux parcelles (certains existent toujours) [La lettre n° 30 leur est consacrée]. La rue des Fontaines était un sentier de même que l’actuelle rue de Coulanges. Le seul chemin important était celui du Closeau (aujourd’hui rue de Champigny).
Quatre rues nouvelles sont établies, d’une largeur importante et plantées d’arbres d’alignement :
- La rue de Montaleau est le grand axe du lotissement, nous noterons qu’elle s’arrête à l’intersection avec la rue Sévigné, ce n’est que bien plus tard qu’elle sera prolongée et que le mur de clôture du domaine du château sera ouvert.
- La rue de Sévigné
- La rue des Picards (du nom du lieu-dit) qui devient un sentier à la sortie du lotissement.
- La rue de Coulanges qui se termine elle aussi dans un sentier.
Il faut noter que dès 1897 la Commune va acquérir le sol des rues qui deviennent donc communales alors qu’elles étaient jusqu’à lors privées.
Le plan Garciot de 1907 nous montre que la rue des Fontaines a été créée et les rues de Coulanges et des Picards prolongées.

La construction des maisons dans le lotissement
L’étude des recensements nous montre que le rythme des constructions et donc le peuplement de ce lotissement ont été très progressifs.
Année | Nb. Maisons | Nb. Familles | Nb. Individus |
1886 | 0 | 0 | 0 |
1891 | 22 | 18 | 55 |
1896 | 39 | 27 | 77 |
1901 | 41 | 34 | 85 |
1906 | 55 | 41 | 128 |
1911 | 73 | 66 | 191 |
1921 | 100 | 87 | 293 |
1926 | 118 | 112 | 328 |
Les recensements nous permettent aussi de constater que les propriétaires ne sont pas des sucyciens. La majorité d’entre eux ne travaille pas à Sucy, cela nous confirme l’importance du train pour eux.
L’architecture des maisons
La plupart des maisons sont construites en meulière. Les plaques en façade nous indiquent leurs constructeurs bien souvent des entreprises sucyciennes : Camot, Bemelsman… Ce type d’habitat nous montre que les propriétaires étaient des gens aisés.
Nombreuses sont celles qui subsistent aujourd’hui comme en témoigne la carte ci-dessous, extraite du PLU, qui localise les maisons remarquables de Sucy. Plus de la moitié des maisons est classée !

Patrimoine bâti exceptionnel : étoile = catégorie 1, rond = catégorie 2




Les cartes postales
Le fonds des Archives départementales nous offre quelques cartes postales du lotissement, hélas non datées.




Le Restaurant de la Chaumière va être détruit vers 1968 et remplacé par des immeubles.
Les photos aériennes
Le site Remonter le temps géré par l’Institut géographique national (IGN) nous donne accès à de nombreuses campagnes de photographies aériennes.
La première photo aérienne de Sucy dont nous disposons, en 1921, nous montre un lotissement déjà bien rempli.

Celle de 1933, plus nette, nous permet de remarquer que seules les rues de la Villa Sévigné sont bordées d’arbres, le prolongement de la rue de Coulanges, par exemple, en est dépourvu. La rue Montaleau est prolongée jusqu’au mur du parc du château.

La photo en 1944, d’une bonne qualité nous montre le lotissement maintenant totalement construit. On note que le mur du parc est désormais percé et la rue Montaleau prolongée par un chemin. Cela est sans doute lié au fait que le château et son parc ont été achetés par la Ville en 1937. La Mairie s’y est installée en 1962.

Lettre élaborée par Marc Giraud