Lettre n°63 – Avril 2025

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Sucy, points d’histoire

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)

Les tableaux de l’église Saint-Martin

Nos lettres des mois de mai et juin vont présenter les 11 tableaux figurant dans l’église Saint-Martin, tous restaurés. Ils figurent tous à l’Inventaire général du Ministère de la Culture et certains sont même classés.

Localisation des 9 tableaux visibles dans l’église
(Les 2 derniers sont sur la tribune, de part et d’autre de l’orgue)

Le Martyre de Saint André

Le tableau est placé à l’entrée dans la nef à droite.

Martyre de Saint André, auteur inconnu

Il a été identifié en 2005 par M. Stéphane Loire, conservateur au Département des peintures du Louvre comme une copie du XVIIe siècle d’un tableau de Claude Vignon qui semble perdu et était placé au-dessus de l’œuvre des marguilliers dans l’église Saint André à Paris.

Il s’agissait sûrement d’une commande importante au vu de la copie et d’une gravure réalisée par l’artiste lui-même et daté de 1623, donc le tableau pourrait être légèrement antérieur.

Toutefois cette copie pourrait être celle d’un original conservé au musée de Lérida (Espagne) selon un autre inventaire (à moins que ce ne soit un original).

Martyre de Saint André, Claude Vignon, 1623, gravure
(source: www.meisterdrucke.fr)

Notre tableau a été restauré par Mme Catherine Lascroux, comme les autres tableaux de l’église, en 2004. Il est inscrit à l’inventaire général du ministère de la culture en 2005

Il aurait été donné à la paroisse en 1838 par Jean Félix Dubarry, châtelain de Grand-Val.

L’auteur de l’œuvre originale est Claude Vignon (1593-1670) peintre de la première moitié du XVIIe siècle ; il s’est montré ouvert à toutes les influences : les maniéristes pour les couleurs surtout, les caravagesques, Rembrandt qu’il a connu, Simon Vouet et Ribera dont l’influence se fait sentir dans ce tableau

Après une formation parisienne il partit pour Rome (1617-1619) où il remporta un prix à un concours organisé par le prince Ludovici. Il parcourut aussi l’Espagne et se maria deux fois et d’après ses biographes auraient eu 34 enfants !!

Dès 1623, sa production artistique, ou celle de son atelier, ne cessa d’être abondante : tableaux profanes et religieux, scènes de genre ou historiques, allégories, mythologies et portraits.

Il entra à l’Académie des Beaux-Arts en 1651, après la mort de ses protecteurs que furent Louis XIII et Richelieu.

Jugement de Salomon ?

Ce tableau est visible dans la nef en entrant à gauche.

Le Jugement de Salomon ou les Adieux d’Hector à sa famille, Sacquespée de Selincourt, 1688

C’est un tableau original de 1688 exécuté par Sacquespée de Selincourt, restauré en 2000 par Catherine Lascroux, inscrit à l’Inventaire en 2007.

On ignore tout du donateur et de la date du legs. Il est mentionné peut-être en 1906 pendant la querelle des inventaires rendus nécessaires à la suite de la loi de séparation de l’Eglise de l’Etat. Il est évalué à 200 francs et désigné comme un grand tableau au-dessus de la porte d’entrée. Or c’est le seul tableau à être plus grand que les autres.

En 1933 un nouvel inventaire est établi par le doyenné (le curé Édouard Weiss un archidiacre et un doyen). En 1946-1947 un jeune ecclésiastique l’abbé Laisnel explique aux enfants le tableau comme étant le Jugement de Salomon.

Le tableau est celui d’un artiste rouennais du XVIIe siècle (1629-1692) très apprécié des amateurs, qui fut aussi poète couronné 7 fois au Concours des palinodies de Rouen pour les balades et chants royaux.

Il fut l’élève du peintre François Garnier à Paris puis, revenu en Normandie, il fut reçu maître peintre en 1654 et élu maître de la confrérie Saint-Luc. Établi à Rouen, il va honorer surtout les commandes passées par les ecclésiastiques. Son œuvre dont il ne reste qu’une vingtaine de tableaux, outre les sujets religieux, offre aussi un cycle sur l’histoire de Clovis (3 tableaux), des portraits d’hommes et un tableau intitulé le Sac de Troie qui se trouvait dans la même pièce que notre tableau ; mais il n’est pas certain que ce tableau soit de la main de Sacquespée et on ne sait pas ce qu’il est devenu.

Ces tableaux se trouvaient dans un hôtel particulier situé 34 rue de la Porte aux Rats à Rouen, détruit en 1862.

Notre tableau serait arrivé dans notre paroisse entre la date de destruction de l’hôtel et 1906 mais comment ?

Malgré les recherches de M. Méa auprès d’un historien méticuleux de Rouen M. Christian Gravey, la possibilité d’un don fait en 1898 par un marchand drapier aux religieuses de la Charité de Sucy pour qu’il soit vendu au profit des pauvres (hypothèse qui naît de la confusion entre 2 tableaux pourtant le titre de Jugement de Salomon) se révèle impossible. On n’a pas pu identifier ce marchand drapier au XIXe siècle et il n’y a aucune mention d’un don de cette sorte dans les archives ecclésiastiques.

Parmi les mystères qui entourent ce tableau il y a surtout son sujet et son interprétation.

Son titre officiel est le Jugement de Salomon. Dès 1976 les membres de la SHAS se posent des questions après avoir fait des recherches sur le peintre et la date du tableau.

On peut se demander : pourquoi y a-t-il des hommes d’armes au-dessus d’une tour ; pourquoi un camp militaire avec des tentes ; pourquoi l’enfant s’accroche-t-il à l’armure du soldat censé être son bourreau et qui-là ne le menace pas ?

Nous avons le même commentaire du conservateur du Louvre M. Loire qui écrit : « le véritable sujet de ce tableau ne semble pas devoir être identifié avec le Jugement de Salomon et serait peut-être un thème profane tiré de l’histoire antique » et il confirme l’hypothèse d’un tableau représentant les Adieux d’Hector à sa famille.

Au pied d’Hector l’enfant serait Astyanax qui, conduit par sa nourrice, s’accroche à son père qui a l’épée à la main et s’apprête à partir au combat comme semble lui indiquer et même lui intimer son père Priam ; à côté d’Hector on voit sa mère, Hécube, et sa sœur, Cassandre, et effondrée dans le coin à droite Andromaque.

Cette interprétation pourrait paraître logique si l’on sait que ce tableau était le voisin du Sac de Troie, tableau nous dont nous avons parlé plus haut.

L’adoration des bergers

Tableau accroché dans la nef à gauche.

Adoration des bergers, auteur inconnu

C’est la copie inversée d’un tableau de Rubens conservé au musée de Marseille et donné à Sucy par Monseigneur de Beaumont, archevêque de Paris, en 1753.

Adoration des bergers, Rubens

Il a été classé en 1972 et restauré en 1980. La toile d’origine a été peinte par Rubens (1577-1640) vers 1618. Ce grand peintre flamand est le créateur du baroque septentrional où la recherche de la couleur l’emporte sur l’importance du dessin.

Ce qui est remarquable dans ce tableau c’est la véracité des détails : nous sommes bien dans une étable avec des animaux (vache, poule, chien). Les personnages sont tous en mouvement en direction de l’enfant Jésus et de sa mère qui présente, avec un tendre sourire, son enfant à la dévotion de la femme âgée ; tandis que la jeune femme arrive d’un pas alerte avec sa grosse cruche sur la tête et un air joyeux.

Saint Jean Baptiste et Saint Nicolas

Tableau visible au bas-côté sud

Saint Jean Baptiste et Saint Nicolas, auteur inconnu

C’est un original d’un auteur inconnu du 17e siècle, après 1640. Sans doute, selon Stéphane Loire, un admirateur de Charles Lebrun (1619-1690) grand peintre qui décora l’hôtel Lambert de l’île Saint Louis, Vaux le vicomte et à Versailles la Galerie des glaces les Salons de la Paix et de la Guerre, l’escalier des Ambassadeurs et au Louvre la galerie d’Apollon.

Ce tableau de belle facture restauré en 1999 fut inscrit à l’inventaire et proposé au classement en 2005. Il met côte à côte deux personnages que rien ne semble conduire à se retrouver :

  • Saint Jean-Baptiste cousin de Jésus et qui le baptisa
  • Saint Nicolas était évêque de Myre au 14e siècle et ses reliques furent ramenées à Bari en 1887. Sa légende raconte qu’il ressuscita des enfants qu’un aubergiste avait égorgés et mis au saloir. C’est lui qui apporte des présents aux enfants le 6 décembre : il est donc le Saint patron des enfants.

La raison de leur présence concomitante tient sans doute au fait que le nom de chacun correspond au nom des deux frères Lambert de Thorigny donateurs du tableau. Jean-Baptiste propriétaire de l’hôtel de l’île Saint-Louis et détenteur d’une fortune considérable, dont hérite son frère Nicolas qui entreprend des travaux dans l’hôtel parisien et fait construire le château de Sucy.

L’Annonciation

Tableau visible sur le bas-côté sud

Annonciation, auteur inconnu

C’est la copie ancienne d’un tableau de Paul Caliari, dit Véronèse, célèbre peintre né à Vérone (1528-1588). Le donateur est inconnu. Il fut classé en 1972 et restauré en 1999.

L’original se trouve à la Galerie de l’Académie à Venise, il date de 1578 et s’inscrit dans la tradition très riche des Annonciations que ce soit chez Léonard de Vinci, Botticelli, Raphaël, Pérugin, Titien, Paul Bordon.

Annonciation, Véronèse, 1578
(source Wikipedia)

Chez Véronèse lui-même on trouve des tableaux sur ce thème en 1555, 1560, 1578 mais aussi en 1580, 1583, 1585.

Nous pouvons rapprocher notre tableau de celui de 1555 avec le souci d’une théâtralité inspirée par les architectures de Palladio, illustrées dans le Teatro Olympico à Vicence, construit par Scamozzi après la mort de Palladio (1580).

Le dispositif, symétrique et centré, se retrouve dans ces Annonciations de format horizontal.

Le tableau était placé au-dessus de la porte menant à la Scala dall’Allergo della Scuola dei Mercanti. L’ouverture des architectures peintes faisait écho à la porte de l’architecture réelle ; la toile était découpée dans sa partie basse pour encadrer la partie supérieure de la porte.

La théâtralité s’exprime aussi par le vol de l’ange arrivé horizontalement vers la Vierge qui semble avoir un léger recul. Le mystère de l’incarnation, c’est-à-dire la représentation de l’invisible, se réalise dans l’éblouissement lumineux et aveuglant, symbole de l’influx divin.


Pour les six tableaux restant, un peu de patience ! Ils vous seront présentés dans la prochaine lettre mensuelle…


Lettre élaborée par Eliane Cobeno

Remerciements à Bernard Méa, Pascaline Le Tinier et Marc Giraud pour leur aide précieuse.

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