Lettre n°43 – Avril 2023

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Sucy, points d’histoire

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)

Le Clos de Pacy

Depuis plusieurs années le « Grand projet du Centre-ville » est en cours. La poste construite dans les années 1970 a été détruite et sera remplacée par un immeuble dont les fondations sont actuellement creusées.

Le marché est en cours de rénovation.

En juillet 2022 la Mairie a présenté le plan des travaux suivants.

Plan extrait du site de la ville de Sucy-en-Brie

Cette lettre va vous faire connaître l’histoire de ce lieu que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « Clos de Pacy » et qui fut, pendant six cents ans, une grande ferme dont les anciens sucyciens se souviennent encore.

le fief de Pacy

La première mention du lieu semble être l’acquisition par Nicolas de Pacy en 1329 d’un domaine comprenant maison seigneuriale, colombier, granges, écuries, étable, fontaines… Une ferme déjà !

En 1404 le fief passe à Pierre Canteleu, il relève alors du seigneur de la Queue-en-Brie et non du chapitre de Notre-Dame comme le bourg. Nicolas de Pacy n’aura pas gardé ce bien très longtemps mais son nom est désormais associé au lieu et perdurera.

En 1581, François Le Cirier, qui possède une maison seigneuriale au carrefour de Rez (là où se tiendra plus tard le château de Sucy) et des domaines importants répartis dans la ville, achète le fief de Pacy.

A partir de cette date et jusqu’au XXe siècle, la ferme restera rattachée au château de Sucy.

La famille Le Cirier va rester propriétaire du domaine, qui ira en s’agrandissant au fil des ans, jusqu’à sa vente en 1640 à Jean-Baptiste Lambert.

1640 – 1718 : propriété de la famille Lambert

Jean-Baptiste Lambert a, en 1636, acheté un office de conseiller secrétaire du roi. A la tête d’une fortune considérable, il devient en 1640 propriétaire de la maison seigneuriale de Sucy.

A sa mort en 1644, son frère Nicolas (le Président Lambert) hérite du domaine. En 1660 il entreprend la construction d’un nouveau château, dont l’architecture est attribuée à François Le Vau.

Pour exploiter la ferme, les Lambert, comme tous leurs successeurs, vont employer des fermiers.

De 1671 à 1696, Nicolas Souchet sera le fermier des Lambert. C’est un homme important comme en atteste le fait qu’il fut enterré dans l’église. Emery Le Maire lui succédera, il a épousé Geneviève Souchet, fille de son prédécesseur.

Il existe de nombreuses cartes anciennes couvrant le territoire de Sucy-en-Brie. Une lettre récente de la SHAS nous les a fait mieux découvrir.

Celles que nous avons utilisées pour cette lettre sont disponibles en consultation aux Archives nationales.

Extrait du plan de 1761
Zoom sur la ferme

Le plus ancien plan connu de Sucy date de 1691 et porte comme titre : « Plan de la terre de Sucy appartenant à messieurs du chapitre de l’église de Paris seigneurs hauts moyens et bas justiciers et voyers de ladite terre » [voyer = responsable des rues et voies publiques].

La ferme de Pacy figure sur ce plan dénommée « Passy », elle porte le numéro 44. La liste figurant au bas du plan nous indique son propriétaire : « Monsieur le président Lambert ».

On aperçoit, le long de la ferme, un lavoir et un abreuvoir (rectangle grisé dans le champ). Les anciens de Sucy ont encore souvenir de leur présence avant la disparition de la ferme au XXe siècle !

La rue qui longe la ferme au nord est notée « c » ce qui renvoie à « rue du gray ou du breuil », la ruelle qui longe la ferme en « d » s’appelle « ruelle de la brenoir ou du puit grosbois ». On remarque de l’autre côté de la rue, au nord, un édifice ressemblant à une tour, qui peut être ce qui reste de la porte de la Noisie qui marquait l’entrée ouest du bourg, dans les remparts. La ferme est donc hors les murs.

1718 – 1780 : propriété de la famille de La Live

Les de La Live sont d’une noblesse récente, c’est l’achat d’un office de secrétaire du Roi en 1704 par Christophe La Live qui leur octroie la noblesse. Christophe est un bourgeois de Lyon, Fermier général des Monnaies de France en 1674 puis greffier de la Chambre des assurances de Paris, il fit fortune.

C’est son fils, Jean-François-Christophe, qui fit l’acquisition du domaine.

Nous savons que Jean Le Vittre était leur fermier en 1723.

En 1762, les de La Live relancent les hostilités avec le chapitre de Notre-Dame concernant les droits de celui-ci comme seigneur de Sucy. Un procès va suivre qui se soldera en 1769 par un arrêt du Parlement donnant raison au chapitre. Ce procès est intéressant pour nous car à cette occasion de nombreuses cartes seront produites par les parties dont celles de l’arpenteur Ginet.

La ferme comprend alors une maison, deux cours, deux jardins, bergerie, grange, pressoir et colombier. Un grand jardin en partie clos de murs et en partie de haies vives dit « le pré de Pacy » lui est attenant. Il comprend une fontaine et une fosse à poissons.

Il y a un pâtre et un vacher. Les procès-verbaux de l’époque évoquent 400 moutons ainsi que des volailles.

Extrait du plan Ginet (1761)

Nous retrouvons notre ferme sur un premier plan (1761) de l’arpenteur Ginet, avec comme intitulé « fief de Passy ». La fontaine et la fosse à poissons sont représentées.

Extrait du plan Ginet (1768)

Sur une seconde carte que le même arpenteur Ginet établit en 1768, nous retrouvons notre ferme et le « N°1 » renvoie à son propriétaire : « De La Live ». Sur la rue le « A » renvoie vers « Rue du puits de gros bois » [aujourd’hui rue Maurice Berteaux].

On aperçoit, le long de cette rue, six petites maisons devant la ferme que Jean-Baptiste Lambert avait fait construire en 1643.

1780 -1838 : César Ginoux

César Ginoux achète le domaine en 1780. C’est un notable parisien, d’une famille originaire de Provence. Ecuyer, conseiller, secrétaire du roi, il sera en 1801 régisseur des domaines nationaux et droits d’enregistrement. Il a su traverser la période révolutionnaire sans perdre ses biens. Le 19 octobre 1806, il est nommé Maire de Sucy par le préfet.

Nous savons qu’en 1789 le fermier de Pacy s’appelait Etienne Force. La ferme produit des céréales (seigle, blé…) et on y élève des moutons.

Les recensements de 1836 à 1851 nous présentent Jean-Michel Vernois comme fermier.

Le Cadastre dit napoléonien a été institué par la loi du 15 septembre 1807 :

« [Il faut] confectionner, pour chaque commune, un plan où sont rapportées [les parcelles], [puis] les classer toutes d’après le degré de fertilité du sol [et] évaluer le produit imposable de chacune d’elles ; [enfin] réunir au nom de chaque propriétaire les parcelles éparses qui lui appartiennent ; déterminer, par la réunion de leur produit, son revenu total et faire de ce revenu un allivrement qui sera désormais la base de son imposition… »

Il s’agit du premier cadastre général et il a comme particularité d’utiliser le système métrique qui vient d’être mis en vigueur. Les surfaces sont en hectares (dits aussi alors « arpents métriques ») et en ares (« perches métriques »)

Une version numérisée de ce cadastre est disponible sur le site des Archives départementales (https://archives.valdemarne.fr/recherches/archives-en-ligne/cadastre-napoleonien).

Pour la commune de Sucy le cadastre est publié en 1811. Il comprend huit sections (donc huit plans parcellaires) et un plan d’assemblage ainsi que des registres associés. L’Etat de section détaille pour chaque parcelle sa surface, son propriétaire, son imposition.

La ferme du Clos de Pacy figure sur la section H « du village » et le Pré de Pacy sur la section A « Poil vert ».

Extrait de la section H du Cadastre

L’état de section nous précise que César Ginoux possède les parcelles (en vert sur le plan) :

  • 47, maison et cour
  • 54, jardin (880m2)
  • 55, ferme, bâtiments et cour (3 715m2)

Les autres parcelles ont sans doute été vendues au fil des siècles, elles appartiennent :

  • 48, 49 : Nicolas Thurin, marchand
  • 50,51 : François Arpentinier, maçon
  • 53 : Jacques Hédeline (père), probablement le père de Marin Hédeline qui est fermier à la ferme charpentière

Le pigeonnier est bien visible ainsi que l’abreuvoir à l’extérieur du périmètre de la ferme.

Extrait de la section A du Cadastre

La grande parcelle (738) est de « terre » et mesure 5 760m2. La parcelle 739 est de « terre » elle aussi et mesure 1 725m2. Ces deux belles parcelles appartiennent à M. Ginoux.

A noter qu’une partie du Pré de Pacy (parcelle 740) a été vendue et est une vigne de 495m2 appartement à Barthélémy Michel.

1838-vers 1960 : Famille Ginoux

A la mort de César Ginoux, ses biens sont transmis à sa nièce Marie qui a épousé un cousin, Gabriel Raymond Ginoux. Ce dernier sera nommé maire de 1838 à 1850.

C’est le frère de Marie, Philibert Ginoux qui va leur succéder en 1863.

Pendant cette période les recensements de 1856 à 1871 nous révèlent que, succédant à Jean-Michel Vernois, Alexandre Courville est le fermier de Pacy.

En 1872 Charles et César Auguste deviennent co-chatelains. En 1877 Charles Ginoux devient seul propriétaire du château et de sa ferme.

Le 30 juillet 1872 Charles Ginoux cède le château à Lady Louisa Caroline Brudenell Brice Meux, mais il conserve la ferme et le domaine productif. La matrice cadastrale de 1902 nous prouve qu’à cette date Charles Ginoux possédait encore plus de 184ha de terres à Sucy. Il mourut en 1907.

Nous disposons d’actes notariés qui nous apprennent que Alfred Bouin devint locataire de la ferme par un bail qu’il signa avec Charles Ginoux le 26 mars 1873 pour « 9 ou 18 ans ».  Il transmit la ferme en cours de bail à Alexandre Lebourlier (celui-ci est désigné comme fermier sur le recensement de 1881). Le 11 avril 1888 le bail précédent étant échu, un nouveau bail est signé avec Louis-Désiré Minier, lui puis, après son décès, sa femme vont tenir la ferme jusqu’en 1904. Le fermier suivant sera Auguste Gautier.

Ces deux cartes ont été produites par la maison Berthaud Frères (B.F. Paris), active de 1889 à 1908, ce qui permet de dater approximativement ces clichés. Désiré Minier qui est le fermier à cette époque.

Nous retrouvons sur ces cartes postales les bâtiments qui apparaissaient sur le cadastre : pigeonnier, granges, bâtiment d’habitation… Peu de changements, l’abreuvoir dans la cour qui apparaissait en bleu sur le cadastre est visible ainsi que le mur qui clôt le jardin.

Cette photographie, prise vers 1908, nous montre la famille Gautier et le personnel de la ferme.

A partie de 1919 des campagnes de photographies aériennes sont effectués. Ces photographies sont une source précieuse pour les historiens de la France du XXe siècle

Beaucoup de des photographies sont mises gratuitement à disposition du public par l’Institut géographique national (IGN) sur un site internet : Remonter le temps.

La plus ancienne photographie aérienne couvrant Sucy date de 1921, on y aperçoit notre ferme.

Photographie prise le 11 juin 1921

Celle de 1933 est plus précise.

Photographie prise le 4 mai 1933

Tous les bâtiments de la ferme sont bien visibles.

Si le pré de Pacy est encore un champ nous voyons que le quartier des Picards est maintenant loti.

La grande rue qui longe la ferme s’appelle maintenant « Rue Maurice Berteaux » et la ruelle est devenue la « Rue des Fontaines ».

Un plan plus large de cette même photo nous montre à quel point les lotissements ont gagné du terrain.

Depuis l’arrivée du chemin de fer à Sucy en 1872, l’attraction de la ville est telle que de nombreux propriétaires, à commencer par ceux des châteaux, vont vendre leur terrains pour laisser place à des lotissements. C’est la « Villa Sévigné » sur les terres entre Montaleau et la gare (1873), C’est le lotissement de Petit-Val en 1888. Ce sera plus tard celui de Grand-Val. Puis les champs disparaissent sur le plateau.

Hors des parcs attenant aux châteaux, nous ne voyons des champs et pâtures que sur la Fosse rouge et à l’est du Fort.

Les jours des grandes exploitations agricoles sont comptés à Sucy.

La fin de la ferme

Dans les années 1930 la famille Ginoux va décider de faire raser la ferme. Grace a un don de la famille Ginoux nous disposons de photographies représentant les ouvriers démolissant les bâtiments.

Sur la photographie aérienne de 1944, nous constatons que la ferme est à l’abandon et pour partie détruite, seul le jardin semble entretenu. Le pigeonnier est encore debout.

Photographie prise le 11 aout 1944

La photographie de 1951 montre que le nature reprend ses droits.

Photographie prise le 16 juin 1951

Cette photo, prise par Bernard Méa vers 1950, nous montre une vue de la ferme avec en premier plan la rue des Fontaines.

Toujours vers 1950, Bernard Méa à pris cette photo du pigeonnier encore debout.

La construction de la Cité verte

La photographie prise en 3 avril 1959 est tout particulièrement intéressante.

Photographie prise le 3 avril 1959

La ferme est en ruine, le jardin est abandonné et le pigeonnier a perdu son toit. Seules les maisons extérieures à la ferme sont encore habitées.

De l’autre côté de la rue les premières tours de la Cité verte sont en construction.

La photographie du 28 août 1962 nous présente une vue des dernières traces de la ferme de Pacy : même le pigeonnier en est rasé. La tour 2 de la Cité verte est terminée.

Photographie prise le 28 aout 1962

La construction du marché

La photographie aérienne de 1965 nous montre de nombreuses nouveautés :

  • Le marché est en construction.
  • La rue des Fontaines a été prolongée, coupant à travers l’ancien terrain et dégageant un parking sur le côté et longeant l’ancienne poste (aujourd’hui médiathèque).
  • La future avenue Winston Churchill est en construction qui coupe à travers les anciens communs du château.
  • Les fondations de la future Résidence du Clos de Pacy sont dégagées.
Photographie prise en avril 1965

Arrêtons cette rétrospective du Fief de Pacy de venu Clos de Pacy par cette photo de 1990 :

  • La nouvelle poste est construite.
  • L’ancienne poste est devenue médiathèque.

Il ne reste plus aucune trace de la ferme.

Photographie prise le 26 juillet 1990

Ce paysage nous a été familier pendant trente ans, place a une nouvelle histoire avec les travaux en cours…

Lettre préparée par Marc Giraud avec le concours précieux de Bernard Méa.

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