Lettre n°42 – Mars 2023

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Sucy, points d’histoire

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)

PLANS et CARTES – ÉTUDE FONDÉE SUR LE CAS DE SUCY

INTRODUCTION

L’idée de questionner les plans terriers, les « plans géométriques » ou les fantaisies des vues cavalières concernant Sucy en Brie intramuros et ses environs s’est précisé avec l’usage qu’en a fait tout récemment Anne-Sophie MARCHAL : L’As des As Cabas & pochette Sucy ma Ville Cabas créé et fabriqué main à Sucy dont le motif original reprend les lieux emblématiques de la Ville. Un produit s’inscrivant dans une démarche d’utilisation pérenne et écoresponsable, qui a reçu le label d’excellence ©SUCY.

La lecture des premières pages du tome1 de la  Nouvelle Histoire de Sucy-enBrie, Naissance et Développement d’un village briard, Sucy des origines à la Révolution, édité sous la direction de  Michel  et Françoise BALARD, en 2010, et en particulier le plan de Sucy de 1691 et le plan altimétrique, des couches géologiques et des figurés associés, sont des contenus qui donnent envie d’en savoir plus à travers une petite étude de la cartographie locale.

L’iconographie de la NOUVELLE HISTOIRE DE SUCY-EN-BRIE en 4 tomes, nous offre des plans et des cartes de notre terroir. Cet article est l’occasion de retrouver ces derniers dans leur globalité avec des focus sur les légendes riches en enseignements.

La cartographie est un mode de « représentation conventionnelle généralement plane, en positions relatives, de phénomènes concrets ou abstraits, localisables dans l’espace » ( définition CFC – Comité français de cartographie).

Cet outil de connaissances intègre des objets graphiques plus ou moins explicités, donnés à voir dans des représentations originales, des éditions nouvelles mais aussi dans des cartes reconstituées au gré des travaux d’ historiens…

Au cours des siècles, l’élaboration de cartes témoigne d’un travail collaboratif aux enjeux multiples dont le cartographe est l’éminence grise.

Le statut des cartes peut s’accompagner selon les contextes d’un souci de secret. Les cartes militaires seront manuscrites tandis que celles de l’abbé Delagrive et des Cassini seront gravées sur cylindres de cuivre.

Les moyens souvent colossaux mis en œuvre pour leur élaboration et leur diffusion évoluent avec le temps, de l’objet unique à l’objet imprimé.

Le rapport aux lieux à cartographier résulte de nécessités diverses dont le cartographe offre sa « vision du monde ». L’image créée de la terre a un commanditaire, des lecteurs et répond à des besoins avec sa valeur d’usage et sa valeur d’estime comme un objet dans un contexte spécifique avec des outils complexes. Le cartographe pourrait s’apparenter au designer qui part d’une problématique donnée, maîtrisant tous les moyens contemporains pour son élaboration. C’est un homme de savoirs qui s’inscrit dans son temps avec des casquettes diverses qui lui permettent de questionner le dessein et le dessin.

L’atelier du cartographe est le lieu où sont réunis toutes les opérations préliminaires collectés sur le terrain. La topographie est  « la technique ayant pour objet l’exécution et l’exploitation des observations concernant la position, la forme, les dimensions et l’identification des éléments existants à la surface du sol à un moment donné » ( définition du CFC). La géodésie y participe, c’est une « science qui a pour objet de définir quantitativement la forme et les dimensions de la Terre et d’en donner des expressions mathématiques et numériques ». 

Dans sa boite à outils, l’arpenteur a maîtrisé des techniques qui lui sont propres pour produire la matière première du cartographe que sont les relevés. L’arpentage est l’action de mesurer la superficie du terrain par toute mesure agraire (autrefois en arpents, maintenant en mètres carré, ares, hectares). Les principales techniques sont le levé, le nivellement, la triangulation (« la triangulation est un procédé de levé topographique dans lequel l’on forme des triangles consécutifs à partir d’une ligne de base joignant deux points connus (localisation et niveau), visibles l’un de l’autre »), le bornage. Ses instruments sont la boussole, la chaîne de 10 ou 20 mètres, la fiche, le jalon, la planchette…

1- LES CARTES

L’ INVENTAIRE des cartes proposées s’inscrit dans deux dynamiques :

  • celles à grande échelle de type cadastral.
  •  celles à petite échelle représentent Sucy inscrit dans un vaste territoire qu’est le territoire français.

PLAN ou CARTE ? Le critère le meilleur est celui des géographes, c’est-à-dire l’échelle : on considère aujourd’hui comme cartes tous les plans dont l’échelle est inférieure à 1/20.000.

A – Les cartes à grande échelle

« Le plan est une carte représentant une surface suffisamment restreinte pour que sa courbure puisse être négligée et que, de ce fait, l’échelle puisse être considérée comme constante. » ( définition du CFC)

Les premiers plans sont souvent associés à des terriers (qui dénombrent les biens d’un seigneur ou du roi) ou à des cadastres sur lesquels les parcelles sont figurées associées à un numéro qui renvoie à un registre. 

À Sucy, jusqu’à la Révolution, le cadastre est surtout local et concerne le partage du sol entre la seigneurie du Chapitre, des châtelains, des bourgeois parisiens, les horsains, les fermiers renseignant ainsi la richesse foncière (les immeubles et les terres labourables et emblavées, les bois ou les grandes surfaces, les vignes moindres et les jardins d’agrément. Le terroir de Sucy est partagé en plusieurs fiefs, souvent morcelés, relevant de seigneuries voisines ou lointaines.

1691 Plan de la terre de Sucy
1691 Plan de la terre de Sucy (A.N. CP/N/I/Seine-et-Oise/41) 195 x 169 cm Échelle 1/1700

Ce plan est le plus ancien connu. On y voit dessinés les remparts construits en 1544, une préfiguration d’un cadastre avec les terrains numérotés et les maisons. On y trouve aussi l’église et les grandes demeures (Château Lambert…) en perspective. À l’extérieur du bourg, les noms des propriétaires des terrains sont notés. Un signe graphique caractérise les vignes, il figure le cep de vigne et nous le retrouverons sur toutes les cartes du 18e siècle.

1728 Plan topographique du terroir de Sucy

Ce plan topographique ne témoigne que des axes de circulation, des limites des parcelles, avec une grande précision au regard de sa fonction. Il ne s’intéresse pas à la cartographie naturelle. Il semble être un plan géométrique qui représente au vrai non seulement la superficie des terrains, mais à proportions toutes les dimensions, angles, longueurs, et largeurs des héritages. Un tel plan est régulier et beaucoup plus sûr qu’un plan visuel, mais infiniment plus coûteux.

1764-68 Plan de l’arpenteur Ginet en deux parties.

N. Ginet est arpenteur royal en la maîtrise particulière des Eaux et Forêts de Paris et Ile-de-France.

COPIE DE LA PREMIÈRE PARTIE DU PLAN DE SUCY par N. Ginet, arpenteur des Eaux et Forêts de France au département de Paris, 1764.

Plan du village et du territoire de la paroisse, parcelles numérotées, prés, terres, bruyères, marais, noms de propriétaires.
Cote : CP/N/III/Seine-et-Oise/24
Couleurs Légères /Dim. 0,70 × 0,728 / Échelle. 1/1.900

Nous pouvons voir que cette première partie correspond au territoire de Sucy. Les différents fiefs, domaines et lieux-dits y sont mentionnés.Ce plan à la main est dessiné à la plume. Des couleurs lavées au pinceau aident à distinguer les parcelles et des symboles graphiques utilisés indiquent la nature de la végétation et du sol ( le cep et son tuteur pour la vigne, l’arbre pour par la forêt, des ondulations pour les marais dessinés) et correspondent aux représentations en usage au 18ème siècle que l’on rencontre dans les cartes de l’abbé Delagrive et de Cassini.  

SECONDE PARTIE PLAN GÉOMÉTRAL CONTENANT LE TERRITOIRE DE SUCY-EN-BRIE À L’EXCEPTION DES BOIS… levé… sur les pouvoirs respectifs… donnés à cet effet, par MM les vénérables doyen, chanoines et chapitres de l’Église de Paris et par Mr Delalive de Pailly, chevalier de l’ordre royal militaire de Saint-Louis… ». Signature. N. Ginet, arpenteur royal en la maîtrise particulière des Eaux et Forêts de Paris et Ile-de-France, 1768.

Terroirs de Sucy-en-Brie, parcelles numérotées, routes, rivière et canal, champs, bois, marais, prés, moulins, villages, lieux dits. Terres de M. Delalive et de l’Église de Paris, seigneuries et terroirs voisins.
Cote : CP/N/II/Seine-et-Oise/2
Couleurs Légères / Dim. 1,25 × 1,70 m / Échelle 1/3.400

Cette seconde partie détaille le centre du bourg, elle donne à voir entre autres, en vert les jardins à la française des châteaux de Sucy… et la vie rurale.

Plan reconstitué de Sucy au XVIIIe siècle d’après A.N. S.393 et S. 820-821

Ce plan rassemble le maximum des informations concernant Sucy au XVIIIe siècle. Réalisé à partir d’un brouillon de plan en deux parties exécutées en 1764, il comporte certaines erreurs d’angles et de largeur (rue des Vaches, rue de la Noisie, rue de la Croix), du fait que les deux parties ne se raccordent pas exactement. La précision du trait et des détails est cependant remarquable. Les édifices dont l’emplacement est connu ont été reportés sur ce plan, en particulier les portes de la ville, les cours communes marquées d’un point, les puits, les ormes . Il forme l ‘ANNEXE 3 du tome1 de la  Nouvelle Histoire de Sucy-en-Brie, Naissance et Développement d’un village briard, Sucy des origines à la Révolution, édité sous la direction de  Michel  et Françoise BALARD, en 2010.

La couleur en facilite la compréhension. Le rouge est surtout la couleur constamment employée au Moyen âge pour désigner les villes et les maisons sur les cartes à petite échelle. Des signes d’objets donnent à voir l’habitat en vue de dessus et des signes de qualités sous formes de lignes : les limites et les circulations.

1810/11 – CADASTRE dit NAPOLÉONNIEN

En 1790, le parcellaire général est décidé pour être mis en application en 1808 sous l’appellation Cadastre napoléonien. L’échelle métrique est adoptée. La Commission réunie en 1802 édicta la règle absolue de l’unité de projection. On assiste à une normalisation de tous les composants des plans et cartes. Le Cadastre dit Napoléonien en est un des premiers exemples. Pour Sucy, Il comprend une documentation écrite 1810-11 (les états de sections et les matrices cadastrales) et une documentation graphique – les plans cadastraux parcellaires, ceux-ci prennent 2 formes: des plans minute, puis des plans déreliés d’un atlas.

A Sucy nous disposons d’un tableau d’assemblage et de 8 plans parcellaires par section

  • section A du Poil vert,
  • section B de la Fosse Rouge,
  • section C des Grais,
  • section D des Bruyères,
  • section E des Petits Chatelets,
  • section F de la Côte,
  • section G de la Plaine du bas,
  • section H du Village

B –  les cartes à petite échelle représentent le terroir de Sucy

Nous allons-nous intéresser à deux d’entre elles :

  • Le plan de l’abbé Delagrive
  • La carte de Cassini
1740 – PLAN DE L’ABBÉ DE LA GRIVE (1689-1757) TERRE DE SUCY

Graveur-topographe né à Sedan en 1689, Jean Delagrive, prêtre lazariste, professa la philosophie au collège de sa congrégation à Cracovie. De retour à Paris, il se voua exclusivement à la gravure topographique et aux techniques d’arpentage et de triangulation. Ses plans de Paris, de Versailles et des environs de Paris lui valurent d’être nommé par Turgot, prévôt des marchands, aux fonctions de géographe de la ville de Paris. De magnifiques plans aux armes des échevins sont gravés par Delagrive au cours du XVIIIe siècle (Sous-série N, plans généraux de Paris).

En 1733, il participa à la mesure de la perpendiculaire à la méridienne de l’Observatoire.

Il collabora aussi à des descriptions de différents châteaux : Saint-Cloud (1744), Marly (1753) et Versailles entre 1746 et 1753.

Il leva, dessina et grava seul la « CARTE TOPOGRAPHIQUE DES ENVIRONS DE PARIS », en neuf planches.

Environs de Paris levés géométriquement par M. l’ abbé Delagrive, Jean (1689-1757) de la Société royale de Londres et géographe de la Ville de Paris, dédiés à M. le Marquis de Vatan, Prévôt des Marchands et à Messrs les Echevins de la Ville en 1740.

Auteur : Delagrive, Jean (1689-1757).
Graveur : Riolet, Claude Charles (17..-17..).
Graveur : Tardieu, Pierre François (1711-1771).
Éditeur : Chez l’auteur (Paris)
Date d’édition : 1731-1742
Appartient à : Collection géographique du marquis de Paulmy.
Année de parution : 1740
Échelle : 1/17 700.                                                                                                                                                      Dimensions : 0,85 x 0,62. 
Technique : Eau-forte, burin ( l’art de la gravure topographique sera portée à son plus haut point ) et colorisation à la main.

L’ensemble de la carte s’étend sur 1300 km2. Elle est découpée en 9 planches de dimensions différentes. Cette carte a été établie au 1/17 180. Le champ couvert par cette carte est d’environ 30 km autour de Paris. Chaque estampe a été conçue dans l’optique d’être assemblée aux huit autres, offrant ainsi une vue d’ensemble de Paris et de sa région en 1740.

C’est l’une des premières cartes qui donne à voir Paris et une partie de sa région. Paris étant figuré au centre, la carte étant orientée nord-sud, elle va des environs de Poissy à l’ouest, à Noisiel à l’est (ville nouvelle de Marne-la-Vallée actuelle), de Montmorency au nord à Palaiseau au sud. Cette carte ne présente aucun relief, si ce n’est les bords escarpés de la Seine, et si les villages figurent, en revanche il ne faut pas y chercher l’ordonnancement des constructions, représentées plus par masse qu’en détail. De même, il ne faut pas y voir un cadastre, mais ce sont les masses de culture qui sont figurées. En revanche, les domaines sont délimités. On note aussi une surreprésentation des bois et forêts avec les allées.

Cette carte est intéressante pour la mémoire du territoire car elle renseigne sur la toponymie et montre bien l’ordonnancement des bourgs et villages, séparés les uns des autres par leur environnement agricole de même que les grandes fermes de plaine. Cette carte dédiée au marquis de Vatan, Prévôt des Marchands de Paris et aux Échevins de la ville, rend bien compte de l’aire d’influence de la capitale au milieu du 18e siècle (Prévôté et vicomté de Paris).

Troisième feuille de la CARTE TOPOGRAPHIQUE des ENVIRONS DE PARIS
Publication : 1733
Description matérielle : 64 x 87 cm

Cette Feuille du Sud-Est de Paris intègre le territoire de Sucy.

Ce plan rigoureux offre la position des châteaux, des villages, des chemins et des bois mais aussi des détails très précis, comme les ruisseaux, moulins et vignes…

Les éléments graphiques de sa légende ne semblent avoir fait l’objet d’un travail explicite. Mais nous les retrouverons dans les cartes des Cassini.

Détail de la Troisième feuille de la CARTE TOPOGRAPHIQUE des ENVIRONS DE PARIS (1756- 1808) centrée sur la Terre de SUSSI (SUCY) de l’abbé Delagrive
1733 – 1812 – CARTES DE CASSINI

Les CASSINI

Jacques Cassini (1689-1757) commença, de 1733 à 1739, la triangulation du Royaume.
Son fils César François Cassini de Thury la poursuivit et publia les travaux complets en 1783.
Ce dernier commença aussi le levé de la carte du Royaume au 1/86 400, d’abord avec l’appui financier du Roi, puis avec l’appui d’une association, d’une souscription publique, et bientôt, le relevé des provinces. Il mourut en 1784. 
A la veille de la Révolution, sous la direction de son fils, Jacques Dominique Cassini, la carte de l’ensemble du Royaume fut quasiment achevée (il ne restait plus à graver que les feuilles de Bretagne et Landes).
Des additions nombreuses furent apportées (essentiellement sur les voies de communication) entre 1798 et 1812.

Les CARTES

Les CASSINI ont produit 2 cartes : tout d’abord une carte générale résultant de relevés par triangulation du territoire français puis la carte que nous connaissons sous le nom de Carte de Cassini.

1ère carte : Carte générale de la France. Tableau d’assemblage qui comprend les principaux Triangles qui servent à la description géométrique de la France levée par ordre du Roy.

2 ème carte : Carte générale de la France dite de l’Académie ou de Cassini sous la direction de César-François Cassini de Thury (1762-1815).

001, (Paris). N°1. Feuille 1
Carte levée entre 1749 et 1755 au 1/86 400e par Birancourt, Beauchamp, Pouillard et Chaillou.
1ère feuille publiée en 1756. Annonce de la parution dans les “Affiches de Paris”, 13 septembre 1756 (B.N. Impr., 28260).
Carte regravée en 1761 par Aveline et en 1762 par Quelleville.

Vingt-quatre feuilles de la carte de Cassini subsistent imprimées sur soie pour Louis XVI selon la tradition, elles sont conservées dans le cabinet du Directeur général des Archives de France.

Dans les années 1780, la reine Marie-Antoinette et quelques notables souhaitant disposer de ces cartes lors de leurs déplacements, ont commandé des exemplaires aquarellés. Chaque feuille a été découpée en 21 rectangles collés ensuite sur une toile de jute afin d’en permettre le pliage et le transport aisés. C’est un de ces exemplaires qui est présenté ici, conservé au département des Cartes et Plans de la Bibliothèque nationale de France (BNF).

Elle est voulue par Louis XV. Elle présente le paysage naturel et construit de la France de la seconde moitié du 18e siècle.

C’est une carte topographique (respect des toponymes locaux) et géométrique (triangulation) et même repère « là où est le clocher » au format 104 cm x 73 cm, en 180 feuilles de publiées, certaines aquarellées à la main.

Elle est la première carte à s’appuyer sur une triangulation géodésique dont l’établissement a pris plus de soixante ans. Les quatre générations de Cassini se sont succédées sur ce travail.

À une échelle de 1/86 400  et la toise valant 1,949 mètre, l’emprise sur le terrain est de 77 961,6 x 48 726,0 mètres (en projection Cassini) pour une feuille pleine.

Homogénéité et précision font de la Carte de Cassini un document vraiment novateur, qualités qui résultent de l’utilisation de la triangulation générale de la France et du caractère géométrique de la carte. Elle repose donc sur le positionnement de quelques 300 points par feuille, par la méthode de la triangulation secondaire qui poursuit la triangulation générale. Ce procédé de levés résulte de l’ensemble des opérations de mesure (distance, angle de visée, etc.) qui recueillent sur le terrain les données originales indispensables à l’établissement d’une carte. Le levé commande d’effectuer les visées à partir des points élevés du paysage, les clochers, les tours, les points haut de collines … ; leurs coordonnées (distance d’un point de l’espace à la méridienne et à sa perpendiculaire) sont donc précisément calculées. Le tracé des routes et des rivières est en revanche dessiné, et le relief esquissé. La carte ne localise pas très précisément les habitations ou les limites de marais et de forêts.

Relevée à la planchette, la topographie de détail ne fait l’objet d’aucune mesure précise mais se trouve calée dans les mailles offertes par les points de triangulation. Les ingénieurs dessinent à vue c’est-à-dire « à peu près les hauteurs, les vallons, les contours des bois, la direction des chemins, le cours des rivières ».

Le réseau routier secondaire est absent de la carte. Cassini justifie cette absence en invoquant le manque de stabilité de cet élément important qui relie les villages entre eux. Le tracé des routes et des rivières est en revanche dessiné, et le relief esquissé. La carte ne localise pas très précisément les habitations ou les limites de marais et de forêts.

Les mesures d’angles reliant les points principaux de chacune des feuilles sont consignées dans des carnets qui forment la partie essentielle des archives de la Carte de Cassini. En outre, les contrôles effectués par les ingénieurs chargés de vérifier les levés de leurs collègues permettent de conserver un bon niveau scientifique à l’ensemble de l’œuvre.

C’est la première grande enquête toponymique au plan national .

Les formes des toponymes proviennent des usages locaux. En effet, les ingénieurs ont reçu pour mission de travailler, pour leur collecte, avec les habitants (le plus souvent, les curés et les seigneurs) des lieux cartographiés. Et, chose précieuse pour les historiens, un même lieu est parfois désigné selon ses différentes appellations de l’époque.

Aucune mise à jour majeure de la carte n’est effectuée avant le début du XIXe siècle bien que César-François Cassini de Thury (Cassini III) soit conscient des changements affectant le paysage : « La topographie de la France était sujette à trop de variations pour pouvoir l’assujettir à des mesures fixes et invariables ; la seule position des clochers était plus constante et par conséquent déterminable ». Les travaux réalisés par les militaires après le transfert de la carte au dépôt de la Guerre en 1793 se poursuivent jusqu’en 1830 ; les principales modifications portées sur les cuivres, entre 1803 et 1812, concernent les voies de communication. En 1830, les papiers du Comité de Division furent remis à la Section législative sauf les procès-verbaux et les cartes de Cassini portant la division de la France en départements : ceux-ci allèrent rejoindre le dépôt des Cartes et Plans.

La feuille rectangulaire couvre 40 000 toises sur 25 000 (une toise pour 1,949 mètre et une ligne pour 100 toises soit 80 kilomètres sur 50 environ) à l’échelle du 1/86 400 . Aux quatre coins sont portées les distances en toises à la méridienne de Paris et à sa perpendiculaire, informations qui ont permis de mettre en correspondance les feuilles et la Carte IGN actuelle. D’autres informations sont présentes sur chaque feuille. Cette carte intègre le territoire de Sucy.

Extrait de la carte de Cassini, centré sur Sucy

2– LA LÉGENDE – INGRÉDIENT CLÉ du langage du cartographe:  la traduction des signes graphiques, nommés aussi les figurés, symboles, objets …

Le geste de déplier une carte s’est effacé avec l’usage de nos GPS, puis de nos Smartphones. La fascination qu’opère la lecture d’une carte ou même d’un plan du temps jadis passe par les modes de représentation des lieux et de l’activité humaine qui a domestiqué ces derniers.

Un espace lui est dédiée : la légende. Elle y accueille la traduction en français… des signes graphiques ou images qui vont nous permettre de comprendre tout ce que le plan, la carte donnent à voir.

Que l’on regarde la carte de l’abbé Delagrive de 1740 ou les cartes Michelin, nous utilisons le terme de lecture. Donc le déchiffrage des petits signes graphiques se fait de manière automatique pour certains. Pour d’autres des précisions vont s’avérer nécessaires. Les conventions graphiques utilisées ont certes évolué au cours des âges mais elles ont toujours nécessité une traduction bien particulière où le texte en langue française ou en d’autres se superposent avec un langage graphique  « universel ».

Nous ne sommes pas à l’échelle 1. Le cartographe opère des choix car il suppose de nos connaissances (les destinataires des plans et des cartes sont des publics ciblés)  et aussi par économie de l’espace en 2D qui lui est accordé. La légende écrite accompagne aussi les dessins des figurés.

Cette image du monde concoctée par le cartographe témoigne d’un symbolisme « naturel » quand la ligne continue bleue ou noire dit fleuve ou route ou moins large dit rivière, ru ou chemin, sentier…

La planimétrie est une branche de la topographie qui a pour objet le levé du plan , la détermination et le report sur la carte des contours figuratifs des objets, naturels ou artificiels, fixes et durables, existant à la surface du sol au moment de la levée, à l’exception des formes du relief. 

Pour les reliefs, l’évolution de leur représentation en courbes de niveau a chassé une part de la poésie qui émanait de ces représentations non normalisées. La vision d’un monde représenté où des lignes qui joignent tous les points de même altitude disant relief va se retrouver dans les cartes proposées riches d’enseignements sur le petit et le grand de SUSSI… SUCY.

Pour notre gouverne, c’est pour réduire les difficultés lors de la consultation des cartes géographiques anciennes que le R. P. de Dainville, … s’est proposé d’expliquer, de démystifier en quelque sorte, ce monde de conventions qu’avaient élaboré les géographes de l’Ancien Régime. Dans son ouvrage François de Dainville. Le langage des géographes ; termes, signes, couleurs des cartes anciennes (1500-1800), avec le concours de Françoise Grivot. Paris, A. et J. Picard, 1964. In-8°, xx-384 pages, XXIV pi., fig. 55 F., une aide nous est offerte. Au 16ème siècle, le géographe est celui qui s’occupe de cartographier les territoires, il s’agit donc bien ici du langage des cartographes.

A – UN CAS CONCRET: La Carte de CASSINI.

Première vision d’ensemble du Royaume, l’occupation de l’espace et l’exploitation du sol (même si les contours sont moins rigoureux que le positionnement des lieux) peuvent être comme « vus d’en haut » : vignes, bois, jardins, moulins à eau et à vent, ponts et bacs, points de postes, lieux de justices, carrières, mines, et même cabarets … La grande variété des symboles présents dans la légende de la Carte en témoigne. Les éléments graphiques ou objets présents dans la carte sont traduits en noir, blanc et gris mais aussi colorisés selon les deux versions des cartes.

B – APPLICATION au territoire de SUCY

Extrait de la carte de l’abbé Delagrive
Extrait de la carte de Cassini

Les extraits des cartes de l’abbé Delagrive et de Cassini permettent la confrontation de ces deux documents d’un même siècle, le 18e, qui s’éclairent mutuellement et se succèdent avec une remarquable continuité.

Les deux premiers signes graphiques dont j’ai eu envie de témoigner sont ceux qui disent MOULIN. Ils sont caractérisés par la force extérieure utilisée : l’eau ou le vent.

Sur le territoire de Sucy dès 1237, il est signalé deux établissements de l’industrie : deux moulins donnés au Chapitre de Notre-Dame en fonctionnement encore sous l’Ancien Régime.

La Carte de l’Abbé Delagrive (1740) et la carte de Cassini (1756) nous donnent à voir ces deux derniers mais les signes graphiques ne sont pas toujours de l’évidence. La devinette est lancée. Qui est quoi?

Le moulin de Touillon est le premier élément du domaine du Grand-Val (première mention de ce lieu dit en 1412). Dans le terrier de 1464 du chapitre de Saint-Maur, une pièce de terre est située à coté d’un chemin qui descend du Grand-val à la Claye. Il appartiendra  à Martin II de Masparraulte, le 10 septembre 1588, seigneur de Chennevières-sur-Marne. Au XVII siècle , cette famille rocambolesque ne règle pas durant 28 ans la rente foncière du moulin, le sort du meunier n’est pas enviable aussi entre arriérés, « meule courante » fendue et maladie.Il est conservé dans cette famille jusqu’en 1735.  En 1711, il est semble-t-il toujours en roture du Chapitre.  En 1764, il est présent sur le Plan de l’arpenteur Ginet. D’autres propriétaires assureront au domaine du Grand-Val et à leurs habitués un sort des plus délicieux.

Si l’on revient sur les deux extraits de cartes, sur la rive droite du Morbras appuyé au mur de clôture du domaine du Grand-Val est un moulin à eau.

Sa représentation joue sur une figure de style, la métonymie : la roue.

Sur une parcelle restée dans le franc-alleu de la Tour (bien tenu en pleine propriété, sans qu’aucun lien ne rattache le propriétaire au seigneur), près des ormes de la Croix: Un moulin-pivot à vent: le moulin de la Tour, est signalé dès 1404. Ce dernier valait une fortune et attira les convoitises.               

C’est la représentation en élévation d’« une cabine en bois montée sur un socle de maçonnerie, cabine tournant sur un pivot afin de mettre les ailes au vent. » avec le luxe d’une ombre portée pour l’abbé Delagrive et de l’ordre du pictogramme pour Cassini.

D’ autres signes graphiques nous indiquent sur la carte de Cassini:

  • que Sucy est une paroisse (symbolisée par une église en élévation).
  • qu’il y a des châteaux à Petit-Val (Pt Val) et à Grand-Val (G Val).
  • que la ville est bordée par un coteau lavé en terre d’ombre (carte colorisée)
  • que des arbres d’alignement marquent le chemin au sud de Petit-Val.

Alors que ces éléments sont dessinés sous forme de plans détaillés ainsi que le parcellaire (champs, bois, potagers, jardins d’agrément) sur la carte de l’abbé Delagrive. 

On notera néanmoins que sur cette dernière carte les éléments de relief (les coteaux) sont absents.

En conclusion

L’étude des plans et cartes couvrant le territoire de Sucy nous permet d’avoir un aperçu de l’évolution du terroir au fil des siècle mais aussi de découvrir les techniques de représentation qu’utilisèrent les géographes, les arpenteurs et les cartographes pour représenter la géographie physique (rivières et coteaux), naturelle (le cultivé et le « sauvage »), humaine (paroisse, châteaux, maisons et industries). Cette représentation va évoluer du dessin figuratif vers l’usage de pictogrammes partagés par tous les cartographes comme ceux des cartes Michelin de nos jours.

BIBLIOGRAPHIE

Nouvelle histoire de Sucy-en-Brie, Tome 1 : Naissance et développement d’un village briard : Sucy des origines à la Révolution dirigé par Michel et Françoise BALARD en 2010

Carte et figures de la terre. Catalogue d’exposition. Centre Georges Pompidou. Centre de Création Industrielle, Paris 1980. N° Éditeur : 206 ISBN : 2-85850-058-4

Catalogue général des cartes, plans et dessins d’architecture. Tome I. Inventaire de la sous-série N/III pour Paris et le département de la Seine d’après l’inventaire établi par Monique HÉBERT et Jacques THIRION, avec le concours de Suzanne OLIVIER, conservateurs aux Archives nationales

François de Dainville. Le langage des géographes ; termes, signes, couleurs des cartes anciennes (1500-1800), avec le concours de Françoise Grivot. Paris, A. et J. Picard, 1964. In-8°, xx- 384 pages, XXIV pi., fig. 55 F.

Loïc Rivault, Le langage des géographes. Termes, signes, couleurs des cartes anciennes (1500-1800), François de Dainville. Norois [En ligne], 250 | 2019, mis en ligne le 19 juin 2019, consulté le 07 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/norois/7452 ; DOI : https://doi.org/10.4000/norois.7452

Ont été consultés les catalogues de la BNF, des Archives Nationales et des Archives Départementales du Val-de-Marne.

Dossier préparé par Isabelle Gadoin Latreyte

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