Lettre n°40 – Janvier 2023

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Sucy, points d’histoire

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)

Le commodore Jonas Halstead COE

CHÂTELAIN DE MONTALEAU ENTRE 1854 et 1860

Durant les années 1970 certains membres de la SHAS effectuaient des recherches afin de rédiger le tome 3 de La Nouvelle Histoire de Sucy consacrée au XIXe siècle et Saint Internet n’existait pas !

Parmi les propriétaires du château sucycien de Montaleau, Jonas Halstead Coe ne le posséda que 6 ans mais il nous fallait l’évoquer, d’autant que sa nationalité américaine et son titre de Commodore nous interrogeaient. Rappelons que ce grade est l’un des plus élevés dans les marines de certaines nations. Notre quête fut peu fructueuse malgré l’enquête lancée auprès des archivistes de la marine américaine à Washington, dont le supervisor nous répondit que l’intéressé avait certainement « exagerated his naval background ».

Heureusement nous en savons beaucoup plus aujourd’hui grâce à l’amélioration  des moyens d’investigation et surtout nous avons découvert qu’il ne s’agissait pas d’un affabulateur.

Le Commodore Jonas Halstead Coe

Jonas s’en va-t’en guerre…

1805 Le 21 septembre naissance de Jonas Halstead Coe (appelé parfois John Coe) aux Etats-Unis, dans la ville de Newark, Comté d’Essex (New Jersey). Il s’agit d’une ville côtière au sud de New York, qui  fait partie maintenant de la banlieue de cette métropole. On ignore les origines de Coe et comment s’est déroulée sa prime jeunesse. D’un esprit aventureux, on le retrouve au Chili. Il navigue, s’intéresse au commerce maritime et cherche déjà à en obtenir des avantages lucratifs.

1826 Il est à Buenos Aires, capitale des « Provinces Unies du Rio de la Plata » (future Argentine). Depuis 1825 cette  confédération est en guerre avec son vaste voisin le Brésil gouverné par l’Empereur Pierre Ier. Motif : le sort d’une province dite cisplatine (de Plata) et qui deviendra l’Uruguay.

Malgré son jeune âge (21 ans) Jonas Coe s’engage dans la marine de guerre des Provinces Unies commandée par l’Amiral expérimenté William Brown, ex-officier de la Royal Navy.

Bataille de Juncal
Bataille de Monte Santiago

Les 2 flottes sont d’égale importance et composées de navires de moyen tonnage. Sur 8 batailles entre le Brésil et les Provinces Unies, 6 ont lieu en mer. Coe se fait remarquer par son courage et son implication notamment aux combats de Juncal (1827) et de Monte Santiago. Les Provinces Unies capturent 2 navires et en incendient 3. Deux seulement parviennent à regagner leur port d’attache.

Jonas Coe est devenu le second de Brown. Tous deux sont en quelque sorte mercenaires de cette république d’Amérique du Sud. Après d’autres engagements perdus, le Brésil est contraint d’accepter l’armistice.

1828 Cette situation aboutit à la création de l’Uruguay ayant pour capitale Montevideo.

Le 7 juillet de cette même année, Jonas Coe, enrichi et paré du prestige des vainqueurs,  fait un beau mariage avec donna Trinidad Balcarce. C’est la fille de Juan Ramon Balcarce, successivement général, maire de Buenos Aires et ministre de la guerre. Elle lui donnera 10 enfants.

Général Juan Ramon Balcarce, beau-père de Jonas Coe

Dans l’Uruguay en fusion

1839 Coe, son épouse et ses enfants se sont installés en Uruguay à Montevideo.  Malheureusement la création du jeune État ne se fait pas sans heurts : intérieurement il est divisé par une guerre civile… Deux factions s’opposent : les « Blancos » ou parti national et les « Colorados » ou libéraux. Les « Blancos » sont soutenus   par les Provinces Unies (future Argentine), les « Colorados » par le Brésil, la France et l’Angleterre. Jonas Coe opte pour les « Colorados » dont le gouvernement a créé une toute jeune escadre : il en devient le Comodoro ! Elle est assez composite et ses équipages sans réelle expérience marine. Coe va se trouver confronté à son ancien et compétent supérieur William Brown resté fidèle aux Provinces Unies et qui dispose d’une flotte aguerrie.

Amiral William Brown

1841 Conscient de son infériorité,  le nouveau commodore mouille dans des ports amis et longe les côtes, protégé par des batteries terrestres. Il pratique des embuscades quand des unités ennemies sont isolées, mais le 3 août, Brown coule une de ses goélettes et le 9 décembre capture son brigantin avec tout son équipage…

1842 En réaction à ces pertes, le président uruguayen acquiert d’autres vaisseaux et crée une seconde escadre dont il confie le commandement à un certain Guiseppe Garibaldi venu avec des volontaires italiens ! En manœuvrant habilement, ces deux escadres diviseront les forces ennemies et remporteront quelques succès, mais sont définitivement battues et dispersées par Brown au combat du Rio Panama.

1853 Création de l’Argentine

Statue de Garibaldi au Brésil

La parenthèse sucycienne et l’épilogue

La guerre s’est achevée en 1851. C’en est fini de l’épopée sud-américaine de Jonas Coe, désormais commodore sans marine ! Il a quitté l’Uruguay toujours sujet à des affrontements violents ; il n’est plus persona grata en Argentine qu’il a combattue. On le retrouve à New York où il a une résidence.

1854 Puis c’est la venue à Sucy où il acquiert Montaleau. On ne sait pas pourquoi Jonas Coe a choisi d’habiter ce secteur de la vieille Europe. Nous savons par contre  qu’il est en rapport avec le fameux baron protestant et banquier Jean-Henri Hottinguer, propriétaire du tout voisin château du Piple. Le baron lui traduisait tous les documents, actes juridiques et correspondances car Coe « n’entendait pas suffisamment la langue française ». Peut-être est-ce le baron qui l’a orienté vers Montaleau ?

Toujours est-il que le 12 juin 1854 le marquis Armand-Amédée Ducroc de Chabannes,  ex-colonel du 2è régiment de hussards, cède le château Montaleau à Jonas Coe. Le montant de cette vente s’élève pour la somme principale à 100 000 francs. Jonas Coe était très fortuné, il disposait aussi d’un domicile parisien 16 rue d’Antin.

Le château de Montaleau

 On n’a pas d’autres renseignements sur son séjour dans notre ville. Peut-être y a-t-il rencontré d’autres américains devenus sucyciens à cette époque, les Moulton, propriétaires du Petit-Val de 1841 à 1883 ? Lilie Moulton n’en fait pas état dans ses mémoires.

1857 Et maintenant une découverte : au cimetière de Sucy, l’auteur de cette lettre eut la surprise de déchiffrer au fronton d’une chapelle ornée d’un aigle l’inscription « Tomba de la Familia Coe ». Comme les autres chapelles funéraires, celle-ci vient d’être restaurée par la Ville de Sucy. Au fond de cet édifice, deux plaques, maintenant retirées, mentionnaient les inhumations de 2 fils de Jonas : Hector Genaro, 19 ans (en 1857) et Juan Manol, 30 ans (en 1878).

Chapelle des Coe au cimetière de Sucy
Plaques funéraires des fils de Jonas Coe

1860 Le 27 mars, bien avant le mort de ce second fils, Coe vend le château à Jean-Baptiste Bouillet, négociant et juge, pour la somme de 180 000 francs. Le montant de la somme a presque  doublé en 6 ans !

1864 Le 30 octobre Jonas Halstead Coe s’éteint  à Buenos Aires, où il était revenu sans encombre dans sa belle propriété,  entouré de plusieurs de ses enfants.

1869 A cette date,  six  d’entre eux sont vivants : une  fille à Buenos Aires, un  fils à Mexico, une  fille à Paris mariée à un français, une  fille célibataire près de Tours et deux mineurs (vraisemblablement auprès de leur mère).

1886 Le 3 août, décès à 76 ans de Trinidad Balcarce, épouse de Jonas Coe, chez sa fille à Saint- Symphorien, près de Tours.

1981 Un patrouilleur de classe Vigilante des garde-côtes uruguayens est baptisé ROU07–COMODORO COE. La marine de ce pays reconnaît ainsi le rôle que Jonas Halstead Coe  a joué au moment de sa fondation.

Document préparé par Bernard Méa

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