Lettre n°34 – Mai 2022

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Sucy, points d’histoire

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)

Les mutations urbaines de Sucy-en-Brie à travers les photos aériennes

Au cours du colloque de CLIO 94 de novembre 2021, Michel BALARD a présenté une communication sur le développement urbain de Sucy au XXe siècle, en analysant les photos aériennes de la ville prises depuis les années 20 par l'Institut Géographique National. C'est le texte de cette communication que nous reproduisons ci-dessous

Remarque : la lecture de cette lettre sera plus aisée à partir d’un ordinateur. Toutes les photos présentes peuvent être agrandies par un seul clic, à condition d’avoir un accès rapide à Internet.

Les fonds photographiques de l’Institut Géographique National représentent un véritable trésor pour l’analyse du paysage et de ses transformations. La photographie aérienne, dont le premier exemple remonte à 1858 par une prise de vue du Petit Clamart depuis un ballon captif, n’a connu son essor qu’au cours de la Première Guerre mondiale, sous l’impulsion des militaires réunis dans le Service Géographique de l’Armée (SGA), ancêtre de l’IGN, et désireux de connaître les positions et les plans de l’ennemi. A partir de 1920, la photographie aérienne est devenue avec l’essor de l’aviation une aide précieuse pour les municipalités soucieuses d’effectuer des aménagements de leur espace. C’est bientôt l’ensemble du territoire national qui a été photographié, afin d’établir des cartes topographiques précises et sûres.

En ce qui concerne Sucy-en-Brie, la première photo aérienne connue remonte à 1921. A partir de cette date, environ tous les quinze à vingt ans une nouvelle campagne photographique permet de suivre les progrès de l’urbanisation au détriment d’une nature encore très développée – bois, forêts, prairies, vergers et vignes – au tout début du XXe siècle. Je me propose donc de vous présenter cinq photographies aériennes échelonnées sur près d’un siècle et de suivre ainsi le recul du manteau végétal de la commune, provoqué par les besoins d’une urbanisation expansive, sous la forme de petits pavillons, de lotissements et de grands ensembles, édifiés sur les domaines que possédaient les six châteaux de notre ville, à la périphérie du centre ancien.

Le premier lotissement débute en 1861 lorsque François Etienne Lefèvre, maire de Sucy mais aussi époux de Félicie Roubier, co-héritière avec son père des 87.000 hectares dépendant du château de Montaleau, établit devant maître Lanquetôt, notaire à Boissy-Saint-Léger, le cahier des charges pour la vente de ladite propriété en 77 lots, la commune acquérant les sols des quatre rues, à construire sur ce domaine, les rues de Coulanges, de Sévigné, de Montaleau et des Picards. Le plan ci-joint (Photo) montre l’extension de ce lotissement partant du parc de Montaleau pour aboutir à la rue de Champigny, actuelle place de la Gare, de sorte que tout le bas-versant de Sucy, compris entre la rue de la Tour (actuelle rue Pierre Sémard) et la rue des Fontaines devient constructible, à l’exception du potager de Petit-Val qui reste une dépendance du château du même nom.

Sucy en 1911

A la veille de la Première Guerre mondiale, le plan de Sucy montre que l’habitat est groupé autour du centre ancien formé par le quadrilatère qui jouxte l’église Saint-Martin, qu’il déborde dans les rues voisines et commence à peine à apparaître autour de la gare :

Le projet de lotissement du Grand-Val , élaboré juste avant 1914, est arrêté net par la déclaration de guerre, alors que le tracé des rues vient juste d’être élaboré, mais laisse encore en friches les pentes du versant qui s’étend jusqu’à l’actuelle rue Olivier d’Ormesson.

Photo IGN – 11/06/1921

1921

La photographie aérienne de 1921, la première connue, révèle peu d’évolution par rapport au plan de 1911. Tout l’espace occupé par le quartier du Plateau et celui des Bruyères n’apparaît pas sur la photo, mais il est probable qu’il est encore fort peu occupé. On distingue très nettement qu’au-delà de la rue Maurice Berteaux, on ne trouve que des bois et des parcs, à l’exception du château de Grand-Val et de sa ferme, reliés à la grand-route de Villeneuve Saint-Georges à Champigny par une double allée d’accès. Le quartier du Poil Vert, à gauche de l’avenue de Paris est vide et seules quelques maisons occupent le triangle entre les rues de Paris, de Champigny et Maurice Berteaux. Le lotissement de la villa Sévigné est en bonne voie de réalisation de même que celui du Petit-Val, au moins au sud-ouest du château du même nom. Bien qu’il y reste des espaces vides, le quartier de la Gare connaît un heureux développement. Au-delà des voies ferrées, le stade Paul Meyer est esquissé à droite de la rue de Paris, tandis que seule l’usine à gaz occupe le triangle entre le chemin de fer, les rues de Paris et de Bonneuil. A gauche de celle-ci, la Verrerie de la Brie qui ouvre en 1922 est en construction, de même que l’alignement de la rue Couturaud qui abrite les demeures en arête de poisson qui seront dévolues aux ouvriers de la Verrerie. Au-delà, dans la direction de Bonneuil s’étend l’espace informe du Marais, de sorte que Sucy est largement séparée de la commune voisine par des terres infertiles et des prairies. Sucy reste encore un village de près de 2.000 habitants, largement rural, boisé et agrémenté de grands espaces verdoyants.

Photo IGN – 04/05/1933

1933

Douze ans plus tard, la photographie de 1933 nous montre un paysage quelque peu différent. Si le centre ancien n’a guère changé, des constructions ont été édifiées le long des voies importantes menant à Boissy-Saint-Léger et à Ormesson. Le quartier du Plateau reste largement inoccupé en dehors des quelques maisons qui jalonnent la route de La Queue-en-Brie, ainsi que la zone du Fort de Sucy, les règlements militaires interdisant toute construction qui empêcherait les tirs de l’artillerie. Le domaine du château de Sucy constitue un large espace de bois et de prairie jusqu’au cours du Morbras et même au-delà. En revanche en une dizaine d’années le lotissement du Grand-Val a connu un large succès, bien que subsistent des lots inoccupés au long des rues Victor Hugo, Lamartine et Gambetta. Le contraste est vif entre les versants descendant vers la Marne où l’urbanisation a fait de nets progrès et l’extension des espaces ruraux quasi intacts, dépendances des châteaux, champs et prairies rayonnant autour du Fort.

Photo IGN – 13/05/1961

1961

En l’absence de photographies datant de l’immédiat après-guerre, il faut attendre 1961 pour constater l’extension de l’urbanisation. Bien qu’il subsiste de nombreux terrains inoccupés, le quartier du Plateau s’est beaucoup développé jusqu’à la route de La Queue-en-Brie, à l’angle de laquelle a été construite rapidement une Cité d’urgence, suite à l’appel de l’abbé Pierre. Au-delà du Fort, ce ne sont encore que champs et prairies, de même au cœur de la Fosse Rouge. Les vingt-et-une tours de la Cité Verte, qui viennent d’être construites, s’alignent autour de l’ancien domaine du Château de Sucy, acquis par la Caisse des Dépôts et Consignations, et se prolongent par un groupe scolaire construit pour accueillir leur nouvelle population. Plus au nord-ouest, le quartier du Grand-Val est désormais bien habité, de même que celui du Poil-Vert, à droite de la route de Paris. En bordure de Marne, ce n’est encore qu’une prairie, de même qu’au sud-est dans l’ancien domaine du Petit-Val, en bordure du bois du Piple séparant Sucy de Boissy, et à côté dans l’espace au-delà de la rue Pierre Brossolette. Le quartier de la Gare est densément peuplé d’autant qu’est annoncée la transformation du Chemin de fer de Vincennes en un Réseau Express Régional, devant raccourcir les délais d’acheminement vers Paris. Au-delà des voies ferrées, le paysage a beaucoup changé. A droite de la rue de Paris, s’est développé le stade Paul Meyer, avec ses courts de tennis de l’UAI (Union Athlétique Inter Gads’Art) et de Saint-Gobain, bien visibles sur la photo, et ses terrains de football et de hockey. De l’autre côté de la rue de Paris, le triangle voit les débuts d’une emprise industrielle, de même que dans l’ancien Marais, où s’installent quelques entreprises à côté de la Verrerie de Saint-Gobain qui s’est développée au détriment des maisons ouvrières de la rue Couturaud, qu’elle avait créées. A cette date, Sucy est devenue une ville de banlieue qui a toutefois conservé d’importants espaces verts.  

Photo IGN – 11/07/1987

 1987

Vingt-six ans plus tard, la photo aérienne de 1987 révèle de profonds changements. L’arrivée du RER en 1969 a accéléré l’urbanisation. Le quartier du Plateau, pavillonnaire, est densément occupé, de même que les Bruyères de Sucy, séparées du cœur de ville par le Stade Omni-Sports récemment inauguré, et par quelques espaces boisés où surgissent des pavillons, comme autour du stade. Le Fort de Sucy, abritant de nombreuses associations, est désormais entouré d’importants lotissements, ceux de la Pléiade, de la Fontaine de Villiers et de Bauvilliers. La coulée verte et le parc de la Garennière préservent des espaces verdoyants autour de ces lotissements. Vers le Nord, c’est le règne du grand ensemble de la Fosse Rouge (Photo), construit en barres parallèles au cours du Morbras. Deux grands ensembles apparaissent proches du centre ancien, la résidence de la Chênaie et celle du Val-de-Marne tandis que le grand immeuble du Clos de Pacy occupe l’espace où se trouvait une grande ferme, remarquable par son pigeonnier. Près de la Marne, les immeubles des Berges ont occupé le seul point d’accès de la commune au cours de la rivière. A l’opposé, à l’est de la ville, trois lotissements ont surgi, celui du Petit-Val, occupant tout l’espace de prairie jusqu’au bois du Piple, celui de la Chère Année, au long de la voie du RER et celui de la Clairière à gauche de la route menant à Boissy, tandis qu’au long de la voie ferrée de la Grande ceinture a été édifié l’ensemble des Noyers, qui était en construction sur la photo de 1961. Seul manque encore le lycée Christophe Colomb qui n’est inauguré qu’en 1992, en commémoration du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique. Au-delà des voies ferrées, les zones industrielles sont en plein développement : l’une s’étend vers Bonneuil après le stade Paul Meyer, devenu le stade de Saint-Maur, l’autre occupe tout le triangle entre les rues de Paris et de Bonneuil, tandis que le Marais a presque totalement disparu pour laisser la place à des entreprises industrielles et commerciales.
 

Photo IGN Géoportail

2018

2018 sur le site IGN, cliquez ici

La dernière photo aérienne, issue du Géoportail de l’IGN, est datée de 2018 (Photo). On ne s’étonnera pas qu’elle révèle peu de changements par rapport à la photo de 1987. La densité pavillonnaire est extrême dans les quartiers du Plateau et des Bruyères, où seules quelques taches vertes signalent la présence des jardins des grandes propriétés privées. Le lycée Christophe Colomb a été construit en bordure du bois du Piple, et un petit lotissement, celui de la Forêt aux moines, s’est développé à l’angle des routes de la Queue-en-Brie et de Lésigny, face au parc de la Garennière. Au cœur de la Cité verte, un nouvel immeuble d’habitation a remplacé une école maternelle en très mauvais état. Au-delà des voies du RER, l’espace est désormais occupé par de nombreuses installations industrielles et artisanales, à cheval sur les limites communales entre Sucy et Bonneuil. Ces zones d’activités, qui portent le nom de « Petits Carreaux » et du Marais ont quasi entièrement recouvert l’ancien espace marécageux et réalisent une jonction parfaite entre Sucy et Bonneuil.
 

   Ainsi au début du XXIe siècle, les espaces naturels de bois et de prairies, largement entamés par l’urbanisation, ne subsistent qu’à la périphérie de la ville, bois du Piple, bois Notre-Dame enveloppant la zone pavillonnaire des Bruyères, bois de la Garennière, coulée verte entre Sucy et Noiseau, bosquets entre la Marne et les deux voies ferrées divergeant après la gare du RER. Toutefois, à l’intérieur de la commune les restes des grands domaines châtelains, avec les parcs de Montaleau, du Petit-Val, de Maison Blanche et du Fort aèrent l’habitat pavillonnaire et donnent l’impression que Sucy a su maîtriser l’inévitable urbanisation de la banlieue, en diversifiant les types d’habitat et en préservant entre eux des espaces verts plus ou moins importants.

    Les photographies aériennes de l’IGN permettent ainsi de suivre le passage progressif d’un village encore rural au début du XXe siècle à une ville de banlieue qui a su éviter la domination exclusive des grands ensembles et privilégier des lotissements pavillonnaires à échelle humaine qui, par leur proximité avec parcs, bois et forêts font de Sucy une ville verte et encore proche de la nature.

Michel BALARD
Société Historique et Archéologique de Sucy (SHAS).

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