Sucy, points d’histoire
Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)
L’AMIE PRODIGIEUSE DES SAINTE AMARANTHE
Joséphine Armande Lucile Jeanne Marchandeau de Lisle, est née à Angers (paroisse saint Jacques) le 3 octobre 1769. Son père Joseph Gilles Marchandeau de Lisle était contrôleur général des domaines du roi et avait alors 46 ans. Sa mère Louise Scholastique Flavie Bedane, également née à Angers, n’en avait que 23 et était originaire d’une famille de négociants de cette ville.
Selon la « biographie nouvelle des contemporains », écrite dans les années 1820 par Antoine Vincent Arnault, « dès sa plus tendre enfance (elle) annonça une grande vivacité d’esprit et d’imagination : ses talents se développèrent de très bonne heure. Elle fit, n’ayant encore que huit ans, une comédie qu’elle avait composée sans secours, intitulée : «le retour des matelots » ou « la prise de Grenade ».
Sa famille lui fit épouser, à l’âge de treize ans, un collègue de son père, François Marie Louis Barrairon. Le mariage eut lieu en décembre 1782 probablement à l’église saint Eustache de Paris. Le mari, avocat au parlement et administrateur général de l’enregistrement et des domaines, était né à Gourdon le 10 juin 1746. Il avait donc un âge presque triple de celui de la jeune mariée. Le couple cohabitait avec les parents de la mariée en l’hôtel des Domaines, rue Neuve des Petits Champs.
Cette union ne fut guère paisible. Les déclarations de l’époux nous apprennent que la relation du couple s’était dégradée dès 1784, l’épouse manifestant des « affections indiscrètes » et des accès de violence. Celle-ci met en cause la jalousie de son mari : il lui prêtait une relation avec le duc de Bourbon mais cette relation se limitait selon elle, à des voisinages de loges à l’opéra et des œillades de voiture à voiture place Louis XV.
Au total, Lucile (puisqu’elle était appelée ainsi à l’époque) se réfugie le 11 mai 1789 au couvent des Filles du Calvaire mais, cédant aux sollicitations de sa famille, réintègre le domicile conjugal et familial. Elle récidive le 16 mars 1790 et se réfugie cette fois au couvent du Bon Secours, rue de Charonne. François Barrairon la retrouve et fait appliquer un régime strict à sa femme : elle est confinée dans sa chambre et « interdite de parloirs et de jardins ». Face à ces restrictions la jeune femme ameute le peuple du quartier en appelant à l’aide de sa fenêtre. Devant les menaces d’envahissement du couvent, l’abbesse cède et assouplit ses conditions de vie. Mais elle cherche à se débarrasser de cette encombrante pensionnaire, d’autant que, averti de la situation par une de ses amies, Mirabeau s’était immiscé dans l’affaire. Arguant de sa qualité de « commissaire des lettres de cachet » il s’était introduit au couvent et, séduit par la jeune femme, avait pris en main ses intérêts. Il s’était autoproclamé tuteur de la jeune femme.
Entretemps un conseil de famille avait décidé de son placement au couvent des Dames de la Présentation (rue des Postes) où elle fut transférée le 20 mai. Si l’on en croit Arnaud de Lestapis (l’auteur hélas ne cite pas ses sources sur ce point) la jeune femme eut tôt fait de découcher en franchissant le mur du couvent grâce à une échelle que lui tenaient galamment deux hommes. Mais la jeune femme, en instance de séparation, se mettait par ce comportement en situation répréhensible.
Elle rejoignit enfin le 13 juillet 1790, le couvent du Précieux Sang, rue de Vaugirard. Elle pouvait y vivre dans la plus grande liberté et les souvenirs de Lucile nous narrent la liaison entre la jeune femme et Mirabeau. Elle se rendait souvent au domicile de celui-ci à la chaussée d’Antin et s’y fit de nombreuses relations dans les milieux révolutionnaires. Cette liaison prit fin par une brouille quelque temps avant la mort de Mirabeau le 2 avril 1791.
Lucile fit ensuite la connaissance des Sainte Amaranthe en juillet 1791 à l’occasion du transfert de Voltaire au Panthéon. Elle avait été invitée, comme les Sainte Amaranthe, à profiter du balcon d’un ami de son père boulevard des Italiens, pour voir passer le cortège. Elle deviendra une familière de la famille jusqu’à leur fin tragique. Elle habitait à cette époque au couvent sainte Elisabeth, en face du Temple. Elle raconte également qu’elle quitta Paris et séjourna dans le Finistère pendant un an entre 1792 et 1793.
Devenue intime des Sainte Amaranthe, elle fréquentait l’établissement de jeu du club des Arcades au 50 du Palais Royal, tenu par madame de Sainte Amaranthe. Elle y rencontra en particulier le comte de Keratry et en devint amoureuse. Le comte était trop léger pour s’attacher durablement et cette aventure prit bientôt fin. En tout cas, elle séjournait suffisamment souvent à Sucy en Brie pour s’y trouver présente en décembre 1793, lors de l’intrusion de l’armée révolutionnaire au château de Chaumoncel et également le 1er avril 1794, lors de l’arrestation de la famille Sainte Amaranthe. Lucile connaissait déjà Sucy : elle y était venue fréquemment dans son enfance chez monsieur Ginoux, administrateur des domaines, ami et collègue de son père. Le président du conseil révolutionnaire de Sucy qui vint effectuer les arrestations, était d’ailleurs le concierge de Monsieur Ginoux, ce qui valut la plus grande indulgence à Lucile et lui évita l’arrestation.
Divorcée le 11 janvier 1793, Lucile se remaria le 7 juillet 1796 à Paris avec Claude François Roland, né en 1762 à Besançon, directeur de l’enregistrement et des domaines. L’écart d’âge entre les 2 époux était cette fois plus raisonnable mais le milieu social et professionnel était le même… Elle sera désormais connue sous le nom d’Armande Roland. Elle mit au monde une fille Yolande Bernardine Charlotte Jeanne, l’année suivante, le 1er décembre 1797.
Armande se consacra dès lors à la littérature et écrivit 9 romans en 25 ans :
- Palmira (1801)
- Mélanie de Rostange (1804)
- Alexandra ou la chaumière russe (1806)
- Aldebert de Mongelas (1810)
- Emilia ou la ferme des Apennins (1812)
- Lydia Stevil ou le prisonnier français
- La jeune bostonienne suivie d’Amica (1820)
- Le trésor de la famille Lowenbourg (1824)
- La comtesse de Meley ou le mariage de convenance (1825).
Elle retrouvait ainsi son goût pour l’écriture qu’elle avait manifesté très tôt. On remarquera que les titres sont parfois exotiques, ce qui étonne pour une personne qui n’a probablement jamais quitté la France.
Tous ces livres figurent au catalogue de la Bibliothèque Nationale (sauf Aldebert de Mongelas). Palmira et Mélanie de Rostange sont d’ailleurs consultables sur Gallica (respectivement 910 pages en 4 tomes pour l’un et 608 pages en 3 tomes pour l’autre).
La biographie d’Arnault commente ainsi son œuvre littéraire : « Madame Roland cultive avec succès les lettres ; elle compte au premier rang des femmes auteurs de ce temps ; mais modeste autant qu’aimable, elle est satisfaite de ses jours dans le sein de sa famille et de ses amis dont elle fait le bonheur ; elle se refuse à tout ce qui pourrait l’enlever à la simplicité de ses habitudes. Elle a écrit plusieurs romans (…) ; ils se distinguent tous par un plan habilement tracé, par des caractères soutenus et souvent neufs ; par la peinture gracieuse et vraie de la nature et des pays qu’elle décrit, par un style élégant et facile, et par des scènes variées, qui procurent à l’âme de douces et de violentes émotions ». En fait, ces livres sont tombés dans l’oubli et l’on ne s’en étonnera pas à lire la description d’une société mondaine, aristocratique et assez conventionnelle.
Les Roland allèrent s’installer à Périgueux (probablement après 1817, date du mariage parisien de Yolande) ; Claude y mourut le 2 août 1832. Armande, elle, mourut à Paris (1er arrondissement ancien) le 26 octobre 1852, à l’âge de 83 ans.
Etude réalisée par Jean-Marie Veneau
Sources :
Mes souvenirs sur Mirabeau / A Roland (1869)
La famille Saint Amaranthe / A Roland (1864)
Biographie nouvelle des contemporains / Antoine Vincent Arnault (1820)
Les aventures d’Armande Delisle / Arnaud de Lestapis (Revue des deux mondes 15 août 1956)
Archives nationales Châtelet de Paris – Y 5191
Geneanet (notamment contribution de Charles-Olivier Blanc)