
Sucy, points d’histoire
Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)
Du 13 au 28 s’est tenue à la Maison Blanche une exposition intitulée André et Berthe Noufflard, Henri Rivière, Maurice Guy-Loë – une histoire de peinture.
Cette lettre vous fera redécouvrir cette exposition à travers des photographies et le texte des panneaux qui y étaient affichés.
Un catalogue en témoigne qui est encore disponible, en nous contactant ou au futur Marché de Noël.

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
L’exposition s’intéresse à quatre artistes réunis en un lieu qui jusqu’à ce jour est resté confidentiel, Maison Blanche :
- André Noufflard peintre paysagiste et portraitiste à ses heures,
- son épouse Berthe Noufflard née Langweil, peintre portraitiste,
- Henri Rivière, peintre-graveur, leur ami très cher,
- Maurice Guy-Loë, peintre et fondateur de la Maison de Retraite pour artistes de Nogent-sur-Marne, époux de leur fille Henriette Noufflard.
Henriette Noufflard a légué à la Ville de Sucy cette belle demeure construite par l’architecte Georges Vaudoyer (1877-1947) pour le jeune couple Élie et Florence Halévy en 1911 dans ce domaine Halévy.
Élie (1870-1937) est un philosophe et historien français, spécialiste du Royaume-Uni, du socialisme et du libéralisme. Son bureau et sa bibliothèque sont toujours présents en ces lieux. Son épouse Florence l’a accompagné dans son travail. Sans enfant, le couple fait de leur nièce Henriette (1915-2003) leur héritière.
En 1961, Henriette épouse le peintre Maurice Guy-Loë (1898-1991), ils vivent ici avec leurs enfants Jean, François et Sylvie. Un atelier est ajouté à cette maison, le peintre Alain Marie en est aujourd’hui le bénéficiaire.
Né en 1864, le peintre Henri Rivière décède à Maison Blanche le 24 août 1951, soignée par Henriette médecin et chercheuse dont la mémoire est aussi honorée à ce jour avec le baptême de l’allée en son nom. Pourquoi ? Rivière, peintre-graveur est le mentor de la jeune Berthe Langweil qui deviendra par son mariage avec André en 1911, Madame Noufflard. Avec son épouse Eugénie, leurs volontés furent d’être enterrés au cimetière de Fresnay-le-Long où Berthe et André les rejoindront, ainsi que Lily Langweil, soeur de Berthe, Henriette, leur fille aînée et leur petit-fils François.
Du Paris du début du XXe siècle au Paris de la rue de Varenne et du clos masure de Fresnay-le-Long pour passer à Sucy : une histoire de peinture, d’amitié et de compagnon-nage s’offre à nous en cette demeure méconnue : Maison Blanche.
L’exposition André et Berthe Noufflard, une histoire histoire de de peinture, Henri Rivière – Maurice Guy-Loë est un hommage à ces peintres que des liens très forts unissent. Leurs portraits et leurs paysages, d’un genre post-impressionniste, nous sont donnés à découvrir. Les portraits de famille, d’enfants, d’amies, d’amis situent aussi leur cadre de vie entouré d’amis très chers et d’un cénacle d’intellectuelles, d’intellectuels et d’artistes.
Un hommage particulier est rendu aussi à Madame Florine Langweil Ebstein (1861-1958), mère de Berthe, marchande d’arts asiatiques à l’instar de Samuel Bing, philanthrope et défenseuse de la langue française en Alsace.
André et Berthe Noufflard
André Noufflard
André Noufflard naît à Florence en 1885, issu d’un père normand, Georges, et d’une mère italienne, Emilia Landrini. La famille vit à Florence et à Fresnay-le-Long.
Son père, musicographe et grand voyageur, dé-cède en 1897. André et ses sœurs, Florence (1877-1957) et Jeanne (1880-1945) partagent leur enfance entre la Normandie et l’Italie.
Peu assidu à l’école, André se passionne pour la lecture et la poésie. A partir de 1901, sa sœur Florence et son mari, l’historien Élie Halévy, le reçoivent à Sucy tous les étés et le poussent à pratiquer le dessin.
En 1905 il se lance sans conviction dans des études de droit et opte pour la nationalité italienne. Il s’initie en même temps au dessin et à la gravure à Pérouse et à Assise. Il intègre l’atelier du peintre florentin Filadelfo Simi, où Florence a étudié avant lui.
En 1910, il quitte l’Italie pour Paris et rejoint l’Académie de la Grande Chaumière, école d’art renommée. Il y approfondit sa formation.
Berthe Langweil
Berthe Langweil est née en 1886 à Paris. Sa mère, Florine Ebstein Langweil (1861-1958), dirige un commerce d’antiquités asiatiques de premier plan. Des collectionneurs de renom, des intellectuels et des artistes fréquentent son magasin au 26 Place Saint-Georges à Paris.
Très jeune, elle commence à peindre, encouragée par Henri Rivière (1864-1961), peintre et graveur, grand collectionneur d’estampes japonaises et d’art asiatique, client et ami de sa mère. D’ailleurs, le premier portrait connu de Berthe représente Henri Rivière, qui a accepté de poser quarante fois en 1903 « avec une patience d’ange ».
Vers 1904, Berthe rencontre Jacques-Émile Blanche (1861-1942) chez sa mère. Elle suit les cours de ce portraitiste reconnu et fréquente son salon où se réunissent intellectuels et artistes pa-risiens, ainsi qu’Élie et Daniel Halévy. Elle passe souvent ses vacances à Offranville, dans la propriété des Blanche.
Berthe fréquente également l’atelier de la Grande Chaumière. C’est là qu’elle rencontre André Nouf-flard.
Une vie d’artistes
André et Berthe se marient le 27 avril 1911. Le couple s’installe à Paris.
Dès leur mariage André et Berthe entament une vie d’artistes ponctuée par les voyages, les rencontres et les amitiés.
Ils se rendent régulièrement en Italie. Ils achètent en 1912 une maison près de Florence et y reçoivent Henri Rivière pour un séjour et un voyage à travers la Toscane.
Pendant la Première Guerre mondiale, André est officier dans l’armée d’Italie. Le couple s’installe à Florence où Henriette va naître en 1915.
Après la guerre, les Noufflard font rénover la maison d’enfance d’André à Fresnay-le-Long. Les travaux s’achèvent en 1920 et ils s’y installent en août après la naissance de Geneviève.
Dès lors ils passent leurs étés en Normandie et le reste du temps à Paris rue de Varenne. Fresnay est leur port d’attache. Ils y reçoivent la famille, de nombreuses personnalités devenues des amis très proches et fidèles, des amis de leurs filles…
La vie à Fresnay est partagée entre la peinture, les conversations avec les amis, les jeux avec les enfants, les promenades dans la campagne, les visites…
« Il n’y eut sûrement jamais plus habile que Berthe pour concilier la concentration dans le travail professionnel avec un temps disponible pour les amis apparemment illimité » (Mary Benett ).
La Seconde Guerre mondiale les pousse à rejoindre la famille en Dordogne et à protéger Mme Langweil, contrainte de changer de nom. Après la guerre, ils restaurent leur maison de Fresnay, endommagée par l’occupation allemande. Leur vie reprend entre Paris, Fresnay et divers voyages, bien que moins fréquents qu’auparavant.
En 1968, André s’éteint durant les événements de mai à Paris. Berthe, déjà affaiblie, décède en 1971 à l’âge de 85 ans.
« Tout chez eux était charme et simplicité ». Ils offraient « la culture mêlée à l’amitié. La culture, pas seulement celle des livres, des objets, des œuvres d’art, mais celle tissée dans le cœur et dans l’âme au fil du vécu » (Françoise Haguenau).
Hall d’entrée : Le Carnaval

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Berthe Noufflard peint en 1910 Le Carnaval, une œuvre inspirée des Ballets Russes. Elle fabrique des poupées en cire comme modèles de danseuses, suivant les conseils de Jacques-Émile Blanche.

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Les Poupées de Berthe

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Dès 1907-1908 il y a un mouvement à Paris vers un renouveau des jouets qui étaient majoritairement fabriqués en Allemagne. Durant la Première Guerre mondiale, l’État français sollicite des artistes pour créer des jouets nationaux « made in France ». Berthe répond en concevant des poupées modelées et habillées avec un soin particulier dans les moindres détails.
Grâce à son ami Henri Rivière, ses créations sont exposées à la seconde exposition des Jouets Artistiques au Musée des Arts Décoratifs (1916–1917), dans une vitrine illustrant les étapes de fabrication. On y voit des têtes de bébés, des fillettes, des personnages régionaux, et un intérieur alsacien avec une poupée du Petit Chaperon rouge, aujourd’hui conservée au MAD. Cette poupée devient l’emblème de la rubrique contes de la BnF.
Après la guerre, Berthe et son mari André lancent un projet de théâtre de marionnettes. Avec Rivière, ils travaillent deux ans pour monter Le Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux, présenté en mars 1922. André construit le théâtre et les dé-cors, Berthe habille les marionnettes avec des tissus anciens et des détails raffinés. Rivière gère l’éclairage. Les représentations sont un succès, accueillies par leurs filles en « costumes Chardin ».
En janvier 1922, Berthe reçoit une commande du Musée du Tourisme créé par le Touring-Club de France. Elle fabrique des poupées régionales, chacune nécessitant des recherches minutieuses : Alsacienne (avec l’aide de Hansi pour la coiffe), Tarine, Bigoudenne, Lorraine, Bordelaise, Normande, Auvergnate… Chaque poupée est modelée, peinte et habillée avec soin.
En 1924, ses poupées sont exposées aux Galeries Simonson, puis à Strasbourg en 1935. Malheureusement, la plupart ont disparu. Seule une poupée en costume de la vallée de Munster, offerte par Berthe en 1929, est conservée au Musée Unterlinden de Colmar.
Atelier autour du Petit Chaperon rouge de Berthe

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Berthe Noufflard a exposé de novembre 1916 à janvier 1917 ses Poupées au Musée des Arts décoratifs de Paris lors de l’exposition : Les Jouets Artistiques. Son Petit Chaperon rouge en faisait partie.
L’idée de l’entourer des protagonistes du conte bien connu s’est imposée à nous. Pour cela, nous avons souhaité faire appel à des enfants.
L’Accueil Loisir d’Ivry-sur-Seine nous a accueilli ce mois d’août. Huit enfants ont alors endossé la casquette de designers.
Tout de suite, le loup s’est imposé, accompagné par la grand-mère, la mère, les chasseurs et les bûcherons, et même Artémis comme chasseresse. La forêt, le chemin court et le chemin long ont été immédiate-ment nommés comme ingrédients incontournables.
Résultat de ce workshop très créatif à l’école Einstein, cette magnifique armoire les accueille dans leurs péripéties à Maison Blanche pour nous raconter ce conte.
Salon – Berthe portraitiste
« Portraitiste je suis et veux l’être, portraitiste en tout et de tout. »
(Jacques-Émile Blanche)
Berthe dessine et peint depuis son jeune âge. Elle rencontre Henri Rivière en 1902 ; une grande amitié se noue entre eux. Il l’encourage dans son goût pour la peinture, l’emmène visiter des expositions et des galeries, accepte de poser pour elle 40 fois « avec une patience d’ange ».
« J’ai eu dans ma jeunesse la chance merveilleuse de grandir pour ainsi dire à l’ombre de Degas dont mon ami Rivière […] me répétait les propos et me montrait les œuvres ». (Berthe Noufflard)
Elle s’intéresse très vite au portrait, qu’elle étudie dès 1905 avec Jacques-Émile Blanche.
« J’aimais la peinture de Blanche, surtout certains beaux portraits de ce temps-là — 1903 – 1910 — et j’aimais le beau métier de peindre ».
L’influence de Jacques-Émile Blanche sur Berthe est déterminante, bien qu’elle ait vécu également dans l’admiration de Vuillard, Degas, Berthe Morizot, Corot. Avec Blanche elle partage l’éblouissement des Ballets russes qui l’inspirent pour son tableau Le Carnaval, remarqué au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts en 1910. Il la guide en lui conseillant de modeler ses personnages, de les habiller et de les éclairer tels qu’elle souhaite les peindre.
Comme Blanche, elle s’attache à rendre « la vérité dans l’instantané », se concentrant sur le regard « car c’est l’âme que nous avons à exprimer ». (Jacques-Émile Blanche, La pêche aux souvenirs)
Peintre intimiste, elle excelle dans les portraits d’enfants
« L’art de Berthe est également baigné de tendresse, mais c’est une tendresse sou-vent amusée, perspicace, exigeante parfois et qui cherche le secret du bonheur dans les yeux des enfants. Les portraits de petites filles que peint Berthe Noufflard ne sont pas seulement d’adroits et intelligents travaux de l’œil et de la main, ce sont aussi des confidences du cœur ».
(Jean-Louis Vaudoyer, préface du catalogue de l’exposition Tableaux d’André Noufflard, Tableaux et poupées de Berthe Noufflard. Galeries Simonson février 1924).
Elle peint avec justesse, qu’il s’agisse de son entourage, de ses amis ou de portraits réalisés sur commande. Plusieurs de ses œuvres figurent dans les plus prestigieuses collections, notamment au Musée Carnavalet, au Musée d’Orsay ou encore au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Elle a immortalisé de nombreuses figures marquantes de son époque : Henri Rivière, Jacques-Émile Blanche, les familles Halévy et Breguet, les Parodi, les Berthelot, Vernon Lee, Mary Duclaux et bien d’autres encore, avec toujours cette volonté de révéler la singularité et l’âme de chacun.
Contrairement à André, elle semble peu attirée par le paysage. André, lui, s’y consacre avec ferveur. Mais il révèle lui aussi un véritable talent de portraitiste. Ses représentations d’Élie Halévy et de Madame Langweil en témoignent avec éloquence, portées par un regard sensible et pénétrant.

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Henriette naît le 10 novembre 1915 à Florence. Dès la fin de la guerre la famille s’installe à Paris, emménage en 1919 rue de Varenne dans l’hôtel particulier de Madame Langweil et accueille Geneviève le 19 juillet 1920.
L’enfance des deux sœurs se déroule entre Paris et la maison de Fresnay-le-Long, en Normandie, dans ce milieu privilégié d’artistes et d’intellectuels que fréquente leurs parents.
Les relations d’Henriette avec sa tante Florence Halévy sont filiales. Elle habite Sucy dès 1928.
Henriette (1915-2003) choisit la Médecine.
En pleine guerre elle est l’une des trois femmes reçues au concours de l’Internat des Hôpitaux de Paris (1942). Henriette devient médecin pédiatre spécialisée dans la lutte contre la tuberculose et s’engage dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle mène une carrière médicale et de recherche, tout en assurant des consultations pédiatriques à Sucy.
Elle accompagne Henri Rivière dans sa fin de vie à Maison Blanche. Elle y demeure après le décès de Florence en 1957 avec ses trois enfants Jean, François et Sylvie et son mari Maurice Guy-Loë, jusqu’à sa mort en 2003.
Elle s’investit dans des actions sociales. En reconnaissance, Jean-Marie Poirier, maire de Sucy, lui remet la Médaille d’or de la Ville.
Avec Florence Halévy d’abord, puis après le décès de celle-ci, elle effectue un travail titanesque de tri des archives d’Élie Halévy qu’elle confie à l’E.N.S. (École Normale Supérieure).
À sa disparition en 2003, elle lègue Maison Blanche à la ville de Sucy :
- pour y créer un Centre de recherche sur l’histoire de la pensée aux XIXe et XXe siècles autour de la riche bibliothèque d’Élie Halévy
- pour accueillir les activités de la Société Historique et Archéologique dont elle était membre.
Personnalité hors du commun, aussi généreuse que discrète, la ville de Sucy lui rend hommage en 2025 en donnant son nom à l’allée qui borde Maison Blanche.
Geneviève (1920-2016) est la filleule d’Henri Rivière.
Elle s’oriente vers une carrière musicale en étudiant la flûte traversière au Conservatoire national supérieur de musique de Paris.
Elle s’engage également dans la Résistance, collaborant avec des figures comme Albert Camus et Jacques Monod. Après la guerre, elle représente la Résistance française aux États-Unis.
De retour en France, elle fonde l’ensemble de musique de chambre Le Rondeau (plus tard Le Rondeau de Paris), qui donne des concerts dans toute l’Europe. Son nom figure sur des disques de musique ba-roque française et au générique de films.
Elle favorise la création musicale liturgique. Elle soutient le père jésuite Joseph Gelineau, auteur de psautiers et de cantiques très usités encore actuellement dans les célébrations religieuses.
Elle crée en 2013 le Fonds de dotation André et Berthe Noufflard auquel est en particulier attribué l’hôtel particulier du 61 Rue de Varenne et de nombreuses œuvres et souvenirs de leurs parents.

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Salle à manger – André paysagiste
Si l’on feuillette le livre qui nous raconte « leur vie, leur peinture », André Noufflard s’affirme très rapidement comme peintre paysagiste.
Il va aller sur le motif dès le début de son aventure picturale autour d’Assise. Il ne faut pas oublier que sa mère est florentine et qu’il est italien. Ce beau pays et sa « simplicité champêtre » vont habiter ses dessins.
Il progresse rapidement, sa sœur Florence et Élie Halévy y voient une réelle vocation. Il se consacre, dans l’atelier de Simi, trois ans durant au modèle vivant. Mais si l’on y regarde les reproductions de ses œuvres, elles nous donnent à voir principalement une nature habitée par l’activité humaine et non par la figure humaine. Par contre, ses films d’une minute eux sont de micros-reportages sur ses filles et les femmes qui l’entourent : son épouse, sa belle mère Madame Langweil, sa mère Emilia, sa sœur Florence, la belle-mère de sa sœur Louise Halévy, et leurs hôtes de Fresnay.
Tout y est presque dit quand Berthe le filme essayant de travailler en plein air, face à son chevalet portatif, entouré de « ses deux gosses » qui le taquinent, c’est avec une pointe d’humour.
André peint d’une touche rapide de petits formats sur toile ou sur carton au gré de leurs pérégrinations ou dans leurs lieux de résidence. Il s’inscrit dans l’héritage du post-impressionnisme en ce début de XXe siècle. Très étonnamment, l’aventure de l’Art moderne en train de se faire ne semble pas le toucher.
Berthe l’accompagne dès le début de leur rencontre de son regard admiratif mais aussi de critiques pleines de finesse et d’intelligence. Elle a une pratique plus ancienne que lui de la peinture, nourrie par ses échanges avec son ami Henri Rivière.
Les échanges avec Rivière sont omniprésents dès son mariage avec Berthe. Ils partagent de mêmes points de vue. Rivière peintre-graveur à l’origine ne s’adonne plus qu’à l’aquarelle. André le filme au travail, son dispositif est quasiment le même : chevalet, parasol et aquarelle. Ils s’emmènent mutuellement sur le motif. On peut supposer les échanges qui en résultent. La compétition n’est pas de mise. Tous les deux observent une nature œuvre humaine avec une grande justesse du regard.
La notion de série sous-tend son travail : ses meules et molettes, le site de son clos-masure avec ses différents points de vue comme chez Monet et sa série sur La Gare Saint-Lazare. Edgar Degas semble aussi le nourrir avec ses premiers plans vides pour une nature cadrée en dehors de rares panoramiques.

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Florine Ebstein Langweil (1861-1958) « la bonne fée de l’Alsace »
Florine Ebstein est née en 1861 à Wintzenheim, proche de Colmar, dans une famille juive profondément attachée à la France. Elle quitte l’Alsace en 1881, et se marie à Paris avec Charles Langweil, un antiquaire. Elle mène une brillante carrière dans le commerce d’antiquités asiatiques, puis se retire des affaires en 1913.
Elle lance alors des actions de soutien aux alsaciens. Elle fonde une œuvre d’aide aux réfugiés : La Renaissance des foyers en Alsace.
Pour ses actions pendant la guerre, elle reçoit à Wintzenheim en 1921 la Légion d’honneur.
Le retour de l’Alsace à la France en 1918 lui procure une joie intense. Mais en Alsace, occupée par l’Allemagne depuis plus de 40 ans, l’usage du français était totalement proscrit. Florine considère qu’il faut résoudre avant tout le problème de la langue.
En 1923 elle fonde avec Jean-Jacques Waltz, le célèbre Hansi, l’Oeuvre française en Alsace destinée à soutenir l’enseignement du français.
L’œuvre décerne tous les ans, dans toutes les écoles, un prix à l’élève ayant fait des progrès remarquables en français. Deux écoles primaires de chaque département, Haut-Rhin et Bas-Rhin se voient en outre remettre solennelle-ment le Prix de Français de 1923 à 1938, puis de 1945 à 1957.
Ce prix d’honneur consiste en un beau livre et un diplôme dessiné gracieusement par Hansi. Les enseignants reçoivent une plaquette en bronze dessinée par Berthe Noufflard gravée à leur nom.
« La distribution des prix est une fête pour tout le village ».
(Adrien Vély, le prix de français en Alsace, 6ème année, 1929.)
Ses actes de générosité envers sa région natale sont innombrables. Elle crée une crèche à Wintzenheim en 1926 pour que les enfants des ouvrières ne restent pas à la rue.
Elle dote les musées alsaciens de Colmar, Strasbourg et Mulhouse de collections prestigieuses d’art asiatique et de peinture française (dont un tableau de Renoir au Musée d’Unterlinden).
Elle reçoit la Légion d’Honneur au grade d’Officier en 1935 : la Rosette lui est remise par le général Andréa lors d’une revue à Colmar.

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Divers catalogues d’exposition

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Cuisine – Une vie d’amitié et de partage
Les amis et les fréquentations des Noufflard sont innombrables. Même le cercle des « proches », en dehors de la famille, est impressionnant : il y a les amis des parents, qui restent des amis de toute la vie, les amis peintres, les amis anglais, les amis des filles… Pour en évoquer quelques-uns, nous laissons parler André à travers ses films.
Les films d’André 1925-1940
À Noël 1925, Madame Langweil offre à André une caméra Pathé-Baby.
Jusqu’en 1940, André filme la vie de famille, les amis, les voyages. Il réalise ainsi plus de 700 films d’une minute environ. Certains de ces précieux instantanés ont été miraculeusement sauvés du vandalisme allemand de la Seconde Guerre mondiale. Mais la caméra et le projecteur ont disparu, André cesse alors de filmer.
Les films retrouvés sont visibles sur le site Mémoire Normande, structure culturelle œuvrant notamment pour la diffusion et la valorisation du patrimoine régional iconographique et filmique. (www.memoirenormande.fr)
En 2016, Normandie Image réalise ce montage d’archives qui présente des extraits de films d’André. (2mn15)
Tout au long de ces années, ses films font revivre Berthe, Henriette et Geneviève mais aussi les amis qui constituent leur entourage.
D’abord Henri Rivière, l’ami de toujours, qui fréquentait déjà Madame Langweil et son salon, est le tout premier à découvrir le talent de Berthe et à l’encourager. Cette amitié dure toute la vie et Henriette, la fille de Berthe, assiste Henri dans ses derniers jours.
André et Berthe reçoivent Jacques-Émile Blanche (1861 – 1942), un habitué du salon de madame Langweil, venant d’Offranville avec sa femme et les deux sœurs de celle-ci.
À Fresnay on rencontre Violet Paget (1885-1935), écrivaine d’origine anglaise née en France et vivant en Italie. Elle écrit sous le nom de Vernon Lee.
Mary Duclaux (1857-1944), née Mary Robinson, est, avec sa sœur Miss Mabel Robinson, une grande amie de la famille Noufflard et du couple Élie Halévy. Elle passe de fréquents séjours à Fresnay. Daniel Halévy lui a rendu hommage dans le texte Les trois Mary, publié chez Grasset en 1959. « Mary, de grâce exquise et de parole enchanteresse ».
René Ménard (1862-1930) peintre symboliste, professeur à la Grande Chaumière, ami de Jacques-Émile Blanche, séjournait souvent en Normandie et rendait visite au couple Noufflard.

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte

Photo Isabelle Gadoin-Latreyte
Hall du 1er étage – Le Prix André et Berthe Noufflard
Henriette et Geneviève Noufflard ont consacré une partie de leur vie à rendre hommage et conserver la mémoire de leurs parents.
Elles fondent l’Association André et Berthe Noufflard vouée à « diffuser, promouvoir et faire connaître par tous moyens l’œuvre des peintres André et Berthe Noufflard ».
En 1985, elles créent la Fondation André et Berthe Noufflard sous l’égide de la Fondation de France, qui décerne le Prix de peinture André et Berthe Noufflard, annuel de 1985 à 1995, puis bisannuel jusqu’au décès de Geneviève en 2016. Ce prix récompense un(e) jeune artiste figuratif vivant en France. À chaque remise de prix une exposition présente plusieurs toiles du lauréat et des artistes sélectionnés, ainsi que des tableaux de Berthe et André.
Les lauréats du Prix de Peinture André et Berthe Noufflard
Vingt candidats ont obtenu le Prix. Beaucoup de ces jeunes artistes sont affiliés à la Fondation Taylor, ainsi qu’à l’École d’Étampes créée en 1968 par Philippe Lejeune.
1985 : Rémy ARON
1986 : François LEGRAND
1988 : Marie-Laurence GAUDRAT
1989 : Jean-Marc IDIR
1990 : Jacques ROHAUT
1991 : Christoff DEBUSSCHERE
1992 : Jean-Charles MAINARDIS
1993 : Alain MARIE
1994 : Antoine VINCENT
1995 : Éric BARI
1997 : Jean-François OUDRY
1999 : Natacha RAOUS
2001 : Mathieu GAUDRIC
2004 : Sylvie MANJOO
2006 : Nora DOUADY
2008 : Mireille BLANC
2010 : Olivier CHARPENTIER
2012 : Bertrand de MIOLLIS
2014 : Agnès GUILLON
2017 : Morgan BRANCON
Afin que cette œuvre perdure, Geneviève lègue son patrimoine à un fonds de dotation logé au 61 rue de Varenne. Sa mission est de faire vivre la peinture de ses parents et d’attribuer le Prix André et Berthe Noufflard.

Photo Michel Alavoine
Chambre bleue – Henri Rivière (1864-1951)
Henri Rivière est décédé dans cette chambre de Maison Blanche le 24 août 1951. Pourquoi ?
C’est l’aboutissement d’une longue amitié qui a débuté lorsque Henri Rivière, peintre-graveur fréquente le commerce d’arts asiatiques de Mme Florine Langweil.
La France et Paris en particulier sont à l’heure du Japonisme. Cette révélation que procure le Japon aux artistes, intellectuels et aux collectionneurs de tous bords va être la réponse à tous les historicismes qui nourrissent la peinture, la sculpture et l’architecture officielles du XIXe siècle. L’Art nouveau est né, l’impressionnisme et les post-impressionnismes en ont tiré la leçon.
Rivière participe à l’aventure du Cabaret du Chat noir en tant que Directeur artistique du Théâtre d’ombres de 1886 à 1897.
En réponse aux estampes japonaises qu’il collectionne, il ré-invente la gravure sur bois à la japonaise avec des encres à l’eau et propose sa série La Mer, études de vagues. La technique est chronophage, il se lance dans la lithographie en compagnie de l’éditeur et imprimeur Verneau et d’Auriol, typographe. Henri Rivière peintre imagier de Toudouze en 1907 nous dévoile son œuvre et ses compagnonnages.
Ses lithographies sur la Bretagne, puis sur ce Paris qui accueille la Tour Eiffel remportent un succès considérable (Affiche pour l’Amérique, Le Beau Pays de Bretagne – Le Bois de hêtres à Kerzarden, La Féerie des heures – Le Vent et Les Derniers rayons, Paysages Parisiens – L’Institut et la Cité, Le Pont des Saints-Pères et le Louvre). Il propose aussi des versions de celles-ci pour les écoles et les intérieurs modernes.
L’aquarelle, d’auxiliaire à ses estampes, va devenir la seconde passion de sa vie. Après la Première Guerre mondiale il s’y consacre exclusivement.
Son amitié avec Berthe Langweil qui devient Berthe Noufflard en 1911 par son mariage avec André est partagé avec le couple. André et Henri iront ensemble peindre sur le motif aussi bien dans le Sud de la France (Vaison la Romaine …) que dans leur clos-masure de Fresnay-le-Long (La cour aux poulettes). André Noufflard le filme en bonne compagnie avec sa Pathé-Baby.
Veuf et quasi aveugle, à partir du 6 novembre 1944, il séjourne de plus en plus souvent chez les Noufflard : Portait d’Henri Rivière à Fresnay 1947 par Berthe Noufflard. Henriette Noufflard, médecin l’entoure à la fin de sa vie dans cette chambre, dite la chambre bleue.
Il est enterré avec son épouse et la famille Noufflard à Fresnay. Son fonds d’atelier sera géré par sa filleule Geneviève Noufflard.

Photo Michel Alavoine

Photo Michel Alavoine
Remerciements
Nous remercions tout particulièrement :
M. Jean Guyot-Noufflard
Mme Sylvie Leclerq
Mme Sylvie Brame
M. Rabotin et le Fonds André et Berthe Noufflard
La Mairie de Sucy
M. Alain Marie et les lauréats du prix André et Berthe Noufflard qui ont accepté de nous prêter leurs œuvres : Mme Agnès Guillon, M. Rémy Aron, M. Mathieu Gaudric, M. François Legrand
Le Musée Unterlinden de Colmar
Le Musée Jacques-Émile Blanche d’Of-franville
La Dixon Gallery and Gardens de Memphis (Tennessee – USA)
Le Musée du Capitole de Phoenix (Arizona – USA)
Le Musée des Arts Décoratifs de Paris
La Maison des artistes de Nogent-sur-Marne
Normandie Images (Rouen)
Madame Marie-Anne Helgoualch et les enfants de l’ALSH Einstein d’Ivry-sur-Seine qui ont participé à l’atelier Poupées.
Nous remercions également toutes les personnes qui ont aidé à mener à bien cette belle aventure au cœur de la peinture de deux artistes témoins de leur temps André et Berthe Noufflard et de leurs amis.
Lettre préparée par Marc Giraud, Isabelle Gadoin Latreyte et Catherine Martzloff
