
Sucy, points d’histoire
Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)
Le patrimoine campanaire : les cloches de l’église Saint-Martin
Pendant presque tout le Moyen Age, jusqu’à l’apparition des horloges mécaniques, les sonneries des cloches ont rythmé et sacralisé le temps de notre ville. A les entendre, on savait à quel moment du jour on se trouvait. Par leurs sonorités et les émotions qu’elles suscitent, les cloches aidaient à la construction de l’identité des individus et soudaient leur communauté. Aujourd’hui, elles suggèrent toujours des rythmes ancestraux et sécurisants, mais on ne les entend plus…ou si peu ! Les sonnailles disparaissent dans le bruit de nos villes, elles deviennent exceptionnelles. Et pourtant, les cloches ont profondément affecté notre sensibilité, notre langue, nos arts. Notre langue fourmille d’expressions et de proverbes campanaires : « se faire sonner les cloches », « déménager à la cloche de bois », « qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son ».
Dès la fin de la guerre de Cent ans, en 1454, la présence de quatre cloches est attestée dans l’église Saint-Martin de Sucy. Les marguilliers, c’est-à-dire les laïcs responsables de la gestion des biens de la paroisse, passent devant l’archidiacre de Brie un marché avec le charpentier Thibault le Vignereux pour la réfection du « beffroy de la tour du clocher » de Saint-Martin. Les cloches, en effet, ne sont pas suspendues à la maçonnerie du clocher. Les fortes vibrations et la traction qu’entraîne leur mise en mouvement ébranleraient la tour. Aussi, à l’intérieur du clocher, une tour en bois de charpente, formée de cages superposées, supporte les cloches : c’est le beffroi dont le bois, matériau souple, se prête admirablement aux forces auxquelles il est soumis. Depuis que le clocher de Saint-Martin est éclairé de l’intérieur, on voit très bien la silhouette du beffroi à travers les fenêtres des abat-sons.
Si le beffroi avait besoin d’être restauré en 1454, c’est que depuis longtemps, déjà, il supportait les cloches ; ce qui fait remonter fort loin dans le temps l’existence de quatre cloches à Saint-Martin. Les siècles qui suivirent ne faillirent pas à cette règle. Les vicissitudes et les aléas des guerres et des temps firent qu’à plusieurs reprises une ou plusieurs cloches disparurent : incendies, bris, malfaçons, usures, destructions volontaires, etc… Au XVIe siècle, un acte de donation faite par Marguerite Delivré mentionne la présence de trois cloches à Sucy. En 1638, les villageois assistent à la bénédiction de « Martine », la cloche qui se trouve aujourd’hui encore dans le beffroi de l’église. D’un diamètre de 1,37m. et pesant environ 1.500 kg., elle sonne précisément un do dièse. On ignore qui l’a fondue. Mais pour la monter au sommet de la tour, il a fallu créer un trou des cloches, encore visible aujourd’hui dans la chapelle de saint Joseph.
En novembre 1659, des documents nous apprennent que Florentin Leguay, sur commande de la Fabrique, a fait fondre deux autres cloches, pour 470 livres, soit 350 livres pour la fonte elle-même, plus 120 livres pour les monter dans la tour du clocher. Elles sont garanties pendant deux ans et Leguay s’engage à fournir un double « paillon » de métal pour ces deux cloches. Le 21 août 1685, est mentionné le baptême d’une cloche refondue pour la deuxième fois ; il s’agit de « Martine », appelée en réalité « Marie-Louise Martine ». Enfin, le 12 novembre 1731, a lieu le baptême d’une quatrième cloche « Michelle-Catherine » d’un poids de 1422 livres. Ainsi l’église Saint-Martin a possédé quatre cloches jusqu’en 1793.

En frimaire an 2 (décembre 1793), trois cloches sont descendues du clocher et conduites à Paris pour y être fondues et transformées en canons, car la patrie en danger avait besoin d’armes. Seule reste au clocher la plus grosse cloche, « Martine », destinée à sonner les cérémonies civiles, mais mutilée de ses inscriptions liturgiques. C’est le citoyen Camot qui s’est chargé de descendre les cloches, pour un salaire de 311 livres 10 sous. Les villageois, habitués à voir les cloches scander la vie religieuse, ponctuer les fêtes villageoises, rythmer les travaux quotidiens, ont dû ressentir douloureusement cette perte, mais il faut pour l’avoir réalisée qu’ils aient aussi éprouvé un grand élan patriotique et le désir de participer à l’effort de guerre national. « Martine » resta donc l’unique cloche de l’église Saint-Martin jusqu’à la fin du XXe siècle.
Le renouveau de l’art campanaire a alors incité Françoise Balard à essayer de reconstituer le carillon de Saint-Martin. Le mot vient du bas-latin quadrillio, qui signifie groupe de quatre cloches. A cet effet a été constituée une association loi de 1901, « A la volée » pour recueillir des fonds auprès de souscripteurs. L’association prit contact auprès de deux entreprises de fondeurs de cloches, et c’est finalement la société de Dominique Bollée, sise à Saint-Jean de Braye, près d’Orléans, qui fut choisie. Mais avant d’installer les nouvelles cloches, il fallut renforcer le beffroi par d’importants travaux qui furent pris en charge par la Mairie de Sucy : fourniture d’une croix de Saint-André, remplacement des chevilles sur les ensembles tenons-mortaises, reprise et peinture des ferrailles sur les assemblages, refixation des croisillons à l’aide de boulons.
Ces travaux réalisés, la cloche « Marie », fondue chez Bollée et solennellement baptisée dans l’église put être installée au beffroi, à côté de « Martine » : elle pèse 450 kg. et sonne un sol dièse. Elle porte les noms de ses parrains ainsi qu’une inscription, « Ce prénom de lumière, Marie, c’est le tien, c’est le nom de toutes les femmes ». En décembre 1995, une grue très haute la hissa au niveau des abat-sons, mais elle dut entrer en biais par la fenêtre maçonnée, après qu’on ait partiellement entaillé la pierre.



Il fut plus facile d’accueillir les deux autres cloches. La troisième « Cécile » nous fut donnée par un bienfaiteur. Elle provenait du port de Brest, où elle signalait l’entrée du port, par temps de brume. Constituée de métal vil, elle fut reprise par la société Bollée et finança ainsi partiellement la fonte de « Cécile ». Celle-ci pèse 310 kg., sonne un la dièse et a comme parrains les servants de messe de 2002. Quant à la quatrième, « Jeanneton », elle nous fut donnée par un enseignant d’un lycée technique, spécialisé dans la chaudronnerie, qui se fit connaître par une annonce dans la revue Aladin. Elle pèse 85 kg., sonne un do dièse et porte sur sa jupe le quatrain suivant :
Je me nomme Jeanneton
J’ai été troussée par de gais compagnons
Et chaque matin à l’appel de leurs noms
Je sonne un gai carillon.
La cloche est recouverte d’une nuée de petites hirondelles réalisées par les élèves du lycée. « Cécile » et « Jeanneton » solennellement baptisées, furent hissées au clocher à force de bras, en décembre 2002.

Ainsi a été reconstitué le carillon de Saint-Martin pour la plus grande joie de nos concitoyens.

Lettre réalisée par Françoise et Michel Balard
En raison des vacances, la prochaine lettre mensuelle de la SHAS sera publiée en septembre.