Lettre n°57 – Octobre 2024

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Sucy, points d’histoire

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (shas.fr)

Débuts de l’aéronautique et Sucyciens à la Belle Époque

PREMIÈRE PARTIE

En 1900, les vols en montgolfières, puis en ballons gonflables n’avaient plus l’attrait de la nouveauté, par contre, ils conservaient leur pouvoir attractif sur les spectateurs qui assistaient à leurs ascensions.

Au contraire les aéroplanes, « plus lourds que l’air », en étaient à leurs balbutiements. Sans cesse transformés, ils émerveillaient les curieux, quelques passagers d’exception et, bien sûr, les premiers pilotes appelés à les dompter.

Plusieurs Sucyciens d’alors ou futurs Sucyciens eurent l’occasion de découvrir divers engins volants. Retrouvons-les grâce à cinq évocations : trois figureront dans cette lettre, les deux dernières dans la suivante.

LE TRÉSOR D’ANDRÉ

A gauche, André Bemelmans enfant devant le 13 rue de Boissy, boutique de la mère Gorgeon

André c’est le petit Bemelmans, nom encore bien connu dans notre ville car nombre de maisons arborent un carreau de céramique attestant qu’elles furent construites par son père ou lui-même. Nous sommes en 1910, André a 12 ans. Il se dépêche : un copain lui a signalé qu’un ballon libre ou monté, comme on disait alors, venait d’atterrir à l’angle des rues de Boissy et de la Queue-en-Brie, tout près de la cabane du cantonnier (1).
La foule est déjà grande quand André arrive. Le ballon s’est très mal posé entre plusieurs arbres qui ont largement déchiré son enveloppe en plusieurs endroits. Les aérostiers dépités emportent la nacelle sur une carriole, l’un d’eux paraît sonné. Des jeunes découpent alors l’enveloppe restée sur place, elle est faite de tissu recouvert par une paroi vernie marron clair qui assure l’étanchéité.

André, fier comme Artaban, revient au 14 rue de Boissy, possesseur d’une belle portion (environ 1m50) qu’il expose dans sa chambre. D’où provenait ce ballon sphérique ? Sans doute d’une fête aérostatique, comme il s’en déroulait souvent près des bords de Marne à la mode : la Varenne, Bry, Nogent … Les Parisiens s’y pressaient pour pêcher, canoter, danser dans les guinguettes. L’envol du ballon était spectaculaire : on assistait à son gonflement au gaz, à la pose de la nacelle, au lâcher des aéronautes.
André était un ami d’école de mon père. Devenu septuagénaire, durant les années 70, il m’a montré ce reliquat de sa découverte enfantine, ses yeux en brillaient encore. Après son décès, j’ai cherché, en vain, à retrouver ce témoignage d’un temps révolu. Il a sans doute fini à la décharge.

Gonflement d’un ballon

POURQUOI UNE RUE DE SUCY EST-ELLE DÉDIÉE À MAURICE BERTEAUX ?

Maurice Berteaux naît à Saint-Maur en 1852 mais l’année suivante, son père Alphonse Berteaux acquiert à Sucy le château du Grand-Val. C’est un richissime négociant en soieries, également propriétaire d’un hôtel particulier aux Champs-Elysées. Son épouse et lui sont parents de quatre enfants, Maurice et ses trois sœurs. Tous apprécient énormément le Grand-Val, son cadre bucolique et sa tranquillité. Alphonse y crée même l’étang que nous admirons toujours, ajoutant un charme aquatique à la propriété (2). Ce dernier devient maire de Sucy entre 1878 et 1881 et la grande affaire durant son mandat est la construction du fort réalisée entre 1879 et 1881 par l’autorité militaire. Maurice s’y intéresse beaucoup si l’on en juge par l’un de ses courriers. Alphonse décède en 1886 et le Grand-Val est revendu.

Suite à de brillantes études au lycée Charlemagne, Maurice Berteaux est plusieurs fois lauréat du concours général. En 1877, il épouse la fille d’un agent de change fortuné et reprend sa charge en 1879. Conjointement, il entreprend une carrière d’homme politique et devient maire de Chatou, sa ville d’adoption. Élu député de Seine-et-Oise, il prend la tête du parti radical socialiste et, consécration, est nommé par 3 fois ministre de la guerre (1904, 1905, 1911).
À ce titre, il se rend le 21 mai 1911 à Issy-les-Moulineaux pour assister au départ de la course aérienne Paris-Madrid. L’aviateur Louis-Emile Train, sentant son moteur faiblir, cherche à atterrir. Malheureusement, un peloton de cuirassiers traverse la piste. Train parvient à ne pas les percuter mais ne peut éviter un cortège d’officiels que dissimulaient les militaires et leurs chevaux. Plusieurs personnalités sont blessées, dont le président du Conseil, mais Maurice Berteaux meurt sur le coup, un bras sectionné. L’émotion est extrême et le malheureux a droit à des funérailles nationales. Beaucoup pensaient à cette époque qu’il avait l’étoffe d’un président de la République.

État de l’appareil de Louis-Emile Train après l’accident

Voilà pourquoi le 29 juin 1912, Sucy a voulu honorer cet homme d’État qui a passé la majeure partie de sa jeunesse dans notre ville et dont le père a été son maire. La rue Maurice Berteaux est l’une des plus longues de Sucy (820 m). Elle joint le centre-ville au Grand-Val.  C’est tout un symbole …

LE PREMIER VOL D’UNE « VIEILLE TIGE »

« Vieilles tiges », c’est par ce terme que se baptisaient eux-mêmes les pilotes brevetés avant 1914 … Rien à voir, en effet, entre les premières « cages à poules », souvent des prototypes fort dangereux, aux vitesses réduites, à la faible autonomie et les SPAD de 1918. Ces derniers atteignirent les 200 kilomètres/heure et pouvaient parcourir 300 kilomètres. La guerre engendre des progrès techniques !

Plusieurs Sucyciens furent aviateurs durant cette tragédie, mais un seul pouvait s’intituler « vieille tige » : Louis Thébault (1888-1973). Une rue de Sucy lui a été consacrée en 2013, mais surtout au titre de directeur de la verrerie (1929 à 1946). Humain et efficace, il fut aussi conseiller municipal et demeura dans notre ville jusqu’à son décès en 1973.

Louis Thébault


Mais revenons au thème de cette lettre, qui est d’évoquer les rapports entre les Sucyciens et l’aviation naissante, en découvrant comment Louis Thébault devint pilote. Sorti ingénieur de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures, promotion 1912, il apprend que le reliquat d’une souscription permet à un centralien de postuler à une formation au pilotage. Louis se porte candidat et bénéficie de cette opportunité. L’opération est parrainée par un autre centralien célèbre, Louis Blériot, qui accepte que le jeune Thébault soit formé dans son école de Buc, près de Versailles, sur des aéroplanes de sa conception.

Courant 1913, le jeune élève aviateur est tout surpris en découvrant les caractéristiques assez sommaires de cette formation.
Mais donnons-lui la parole : « elle présentait cette particularité que l’art de voler y était enseigné paradoxalement au sol et plus paradoxalement encore, par un moniteur qui n’avait jamais volé et ne cachait pas sa décision de ne jamais monter sur des engins si dangereux » (3).
C’était toutefois un mécanicien chevronné qui expliquait aux postulants-pilotes le fonctionnement du moteur italien ANZANI de 24 CV, équipant le Blériot, l’usage du « palonnier » commandé aux pieds et actionnant la gouverne de direction. Enfin, n’oublions pas une découverte récente de Blériot, le fameux « manche à balai ». Ce levier, placé entre les jambes de l’aviateur, manœuvrait la gouverne de profondeur et provoquait l’inclinaison des ailes.

Quelques années plus tard, Louis Thébault capitaine et chef d’escadrille

Nanti de précieux conseils, Louis Thébault commence par parcourir la piste avec un véritable avion auquel on avait coupé les ailes. Il porte le surnom évocateur de Pingouin.

Cet ersatz d’aéroplane est animé d’une sorte de mouvement giratoire que l’apprenti pilote s’efforce de corriger grâce aux commandes. Louis Thébault, ayant des difficultés à négocier un virage, immobilise l’appareil et en descend pour le pousser. Mais la machine redémarre seule, suivie de son conducteur à bout de souffle. Heureusement, elle s’immobilise enfin et notre futur Sucycien retrouve « le pingouin intact, m’attendant docilement un peu plus loin ».

Mais il faut arriver à décoller réellement ; à défaut de simulateur de vol, voici comment on formait les aviateurs au sol en 1913 : « l’apprenti étant assis au poste de pilotage, Collin ordonnait à ses aides de soulever l’arrière du fuselage et de glisser sous celui-ci un tréteau qui allait servir momentanément de support. Dans cette position, l’appareil était en ligne de vol. C’était celle à prendre pour le décollage ». (3)
Pourvu d’une foule de recommandations, l’apprenti-pilote se retrouve seul pour affronter son premier vol : « c’était un événement à l’époque que le « lâcher » d’un élève, et bien fait pour attirer les amateurs d’émotions fortes » (3). Le décollage se passe bien, la montée en altitude également, ainsi que le court trajet : le vol ne doit pas excéder cinq minutes, l’avion risquant de manquer d’huile !

Florence Halévy et Louis Thébault à Sucy sortant de Haute Maison

Reste l’atterrissage. « Je parvins à accomplir une large courbe sur la campagne. Ayant remis l’appareil sur une trajectoire rectiligne, j’amorçais la descente en réduisant les gaz et fut assez heureux pour franchir la route bordant le terrain et m’arrêter à l’autre extrémité » (3). Performance accomplie, Louis Thébault était fier d’avoir « réalisé cet exploit réservé encore à peu de mortels, de m’élever dans les airs, d’y naviguer à ma guise et de reprendre contact sain et sauf avec le sol à mon point de départ ». (3)

Trois ans plus tard, Louis était pilote de guerre, capitaine et chef de l’escadrille 210 qu’il avait créée. Elle était chargée d’observations d’artillerie, de reconnaissances photographiques et de bombardements. Il fut très décoré et plusieurs fois cité.

Nous nous arrêterons là car l’utilisation de l’aviation et son essor en 1914-18 correspondent à un autre stade que le tout début des aéroplanes. Comme disait Kipling, ceci est une autre histoire…

NOTES

1 En 1913, un café campagnard, « l’Ami Jules » avec jeux et bosquets, s’est implanté en ce lieu. C’est actuellement devenu une pizzeria.

2 Ce bel étang a remplacé un vivier qui, sur le Morbras, surplombait le moulin de Touillon. Nous sommes certain de le devoir à Alphonse Berteaux (il n’existait pas sur un plan de 1852 et figure bien sur un autre de 1880).

3 Extrait de la revue « Arts et Manufactures » n° 130 avril 63.

Lettre préparée par Bernard Méa
avec les aides amicales de Catherine Martzloff et de Marc Giraud

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